Patrimoine. Tattoo you

Le tatouage a toujours fait partie de la culture marocaine. Même s’il se pratique de moins en moins…

 

“L’histoire des Marocains n’est pas écrite sur papier, elle a été tatouée sur la peau des femmes depuis des siècles, comme sur un parchemin. Malheureusement, nous l’avons oublié”, lance d’emblée le réalisateur Lahcen Zinoun. Dans son nouveau film, intitulé Femme écrite (sortie en salle cette semaine, à voir absolument), il revient sur le rapport du corps de la femme marocaine avec le tatouage. Une tradition ancestrale, qui date de plusieurs siècles et qui est aujourd’hui considérée par la majorité des Marocains comme faisant partie du folklore local et non pas comme une véritable part de leur histoire et de leur identité. Aujourd’hui, le tatouage tribal marocain a quasiment disparu. Dans les grandes villes, il n’est plus du tout pratiqué, et dans le milieu rural, il n’existe plus qu’au sein de régions reculées, très souvent dans des villages de l’Atlas. Un patrimoine en perdition, qui a fasciné des chercheurs français dès le début du protectorat, ainsi que des écrivains et chercheurs marocains dans les années 1970 et 1980, tels que Abdelkébir Khatibi et Mohamed Sijilmassi.

 

Peuple écrit

Contrairement aux idées reçues, le tatouage au Maroc est loin d’être une spécificité des tribus amazighes, bien au contraire. Les tribus arabes, qui ont été obligées de s’intégrer dans une société marocaine qui avait déjà des rites et des traditions bien ancrées, ont petit à petit commencé à se faire tatouer, uniquement sur le devant du corps, comme les Amazighs. “On pense souvent à tort que les tribus arabes étaient contre le tatouage parce qu’il est considéré haram. Or le Coran n’en parle pas, ce sont les hadiths qui le réprouvent. Cela ne les a donc pas empêchées de s’adapter à cet héritage antéislamique du Maroc”, explique Lahcen Zinoun. Mais y a-t-il des différences entre les tatouages des tribus amazighes et arabes ? Il semblerait que oui. D’après les recherches d’anthropologues français pendant le protectorat, “les tatouages chez les tribus arabes ont toujours été plus simples, alors que ceux des tribus berbères sont très variés et détaillés ; ils sont composés de croix, de points et d’arcs de cercle qui forment des combinaisons à l’infini”. Les endroits du corps qui sont ornés de tatouages diffèrent également. D’après les travaux du docteur français J.Herber, qui a publié plusieurs articles sur les tatouages marocains entre les années 1930 et 1950 dans la revue Héspéris (consacrée à l’étude du Maroc, de sa société, de son histoire, de sa culture) “les Arabes ont plus tendance à tatouer le côté droit, alors que les berbères choisissent le côté gauche”. Une différence que personne n’a réussi à expliquer jusqu’à aujourd’hui.

 

Ma tribu, mon tatouage

Le tatouage le plus fréquent chez les Marocains et les Marocaines ? Le signe d’appartenance à leur tribu ou à leur région. Chez les femmes, il est situé au niveau du menton, alors que chez les hommes, il peut être sur l’avant-bras ou sur la main (dos de la main, doigts, etc.). Le tatouage permettait aux membres d’une même tribu de se reconnaître et définissait donc un lien entre les membres d’un groupe donné, qu’il différencie des autres clans, familles ou lignées. “Le tatouage au Maroc va de pair avec la structure tribale qui fut, pendant des siècles, la base de l’organisation rurale du pays, c’est-à-dire sa valeur sociale, culturelle et psychologique”, a analysé George Marcy, chercheur spécialisé dans les tatouages d’Afrique du Nord, dans la revue de L’histoire des religions, en 1930. Dans certains cas, le tatouage pouvait également avoir un caractère religieux, comme l’a relevé le docteur Herber lors de ses recherches : “Dans la tribu des N’tifa par exemple, il est la marque des disciples de Sidi Ali ben Naceur qui sont rituellement des tireurs émérites. Ce tatouage leur est dessiné par une tatoueuse, après leur consécration”.

 

Moroccan beauty

Les autres significations des tatouages marocains sont multiples. Chez la femme marocaine, il a toujours eu une fonction esthétique. Certains motifs étaient utilisés pour amoindrir ou camoufler les imperfections d’un corps ou d’un visage. Pour le docteur Mohamed Sijilmassi, dans son ouvrage Les arts traditionnels au Maroc publié en 1974, “le tatouage est un atout de séduction pour les femmes maghrébines au même titre que le maquillage des femmes occidentales”. La hamaka, un motif bien spécifique, est destiné aux femmes considérées comme étant d’une grande beauté par les anciennes du village ou de la tribu. Ce sont elles qui choisissent le motif et son emplacement, en concertation avec les tatoueuses (voir encadré). Le tatouage pouvait également avoir une fonction thérapeutique ou plutôt préventive, à la fois chez les hommes, les femmes et les enfants. Ces tatouages étaient appliqués sur les parties du corps à soigner et à protéger contre la maladie. “Dans certains cas, le tatouage était indiqué —et il était efficace— pour stopper la croissance de certains goitres par exemple”, affirme Lahcen Zinoun. Enfin, le tatouage avait également une fonction magique, vu qu’il était considéré comme pouvant protéger du mauvais œil ou porter bonheur. C’est pour cela qu’à la puberté, les jeunes filles étaient tatouées, pour être protégées contre les forces du mal. Les tatouages avaient donc des fonctions différentes, aussi fascinantes les unes que les autres, aujourd’hui malheureusement oubliées. “J’espère du fond du cœur que Femme écrite permettra aux Marocains de se rendre compte que les tatouages sont une partie du patrimoine qui a été injustement jetée aux oubliettes. Il est temps de réaliser que nous sommes une société qui a tendance à effacer sa mémoire”, conclut le réalisateur.

 

 

Profil. Dessine-moi une tatoueuse

Contrairement à l’Algérie et la Tunisie, au Maroc les tatouages étaient exclusivement réalisés par des femmes. “Les tatoueuses exercent souvent leur profession de mère en fille, aussi bien dans le nord du Maroc que dans le sud. Si elles n’ont pas de fille, elles appellent auprès d’elles une nièce, elles lui transmettent leur aiguille et, pour parachever son apprentissage, l’invitent à se rendre au tombeau du saint qu’elles avaient elles-mêmes péleriné avant de s’adonner au tatouage”, écrit J.Herber en 1948 dans la revue Héspéris. Un savoir qui se transmettait donc de génération en génération, dans chaque tribu du pays.

Très souvent, ces femmes étaient également tisseuses ou fabricantes de tapis, et utilisaient les mêmes motifs dans leur travail quotidien. Certaines tatoueuses, célèbres pour leur talent et leur technique, étaient sollicitées par les tribus voisines. Elles faisaient alors des tournées de quelques jours pour aller tatouer plusieurs personnes dans chaque village. Les techniques qu’elles utilisaient pour tatouer ? Le couteau ou les aiguilles, selon la taille et la forme du tatouage. Elles utilisaient également un grand nombre de plantes naturelles comme le henné, le safran ou l’orge pour désinfecter la peau, donner de la couleur au tatouage ou encore aider la peau à cicatriser.

 

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