7ème art. La bande des quatre

Parfois inspiré, voire audacieux, le cinéma marocain d’aujourd’hui doit son élan à des réalisateurs qui ont l’art de réussir leurs castings. Zoom sur quatre jeunes comédiens à suivre de près.

 

Nadia Kounda

Tragédienne née

Grâce à L’Amante du Rif  de Narjiss Nejjar, on le sait : Nadia Kounda est une actrice avec laquelle il faut désormais compter. La comédienne de 23 ans y tient le rôle principal, celui d’Aya, une jeune femme de Chefchaouen dont la vie bascule tragiquement quand son frère l’échange contre un bout de terrain de kif. C’est son premier grand rôle, le “rôle de sa vie”, aime-t-elle à scander, heureuse d’avoir pu travailler avec une réalisatrice dont elle admire le talent et la force. À l’écran, ce sont les siens qui sont donnés à voir. Nadia Kounda joue de sa beauté et de son côté femme-enfant à la fois fier et fragile. Elle se donne entièrement, généreusement, dévouée à la caméra et à l’histoire qu’elle personnifie, aussi dure soit-elle. Après L’Amante du Rif, la jeune femme tourne en juillet 2011 dans Raltat de l’Américain Alfred Robbins, où elle interprète le rôle de Leila Bassir, Marocaine détenue par erreur par le FBI, qui se trompe sur son identité et la prend pour l’épouse d’un terroriste du 11 septembre. Aujourd’hui installée à Montréal, Nadia Kounda, qui a troqué l’ingénierie pour des études cinématographiques, prend le temps de s’abreuver de connaissances et nourrit l’espoir de pouvoir, un jour, rentrer au Maroc et se mettre derrière la caméra. Pour raconter des histoires d’amour, comme elle les aime…

 

Fehd Benchemsi

Astre filant

Il se destinait à une carrière dans la justice, il a fini par incarner la justesse à l’écran. Fehd Benchemsi, petite trentaine pétillante, est de ces acteurs qui ont l’élégance de crever l’écran tout en préservant le jeu de leurs partenaires. Sa maîtrise de droit en poche, décrochée à Aix-en-Provence, le ramène au Maroc, où il se demande s’il ne serait pas trop à l’étroit dans une robe d’avocat. Aux tribunaux, il préfère les percussions, la vie de bohème, et se retrouve, en 2007, accessoiriste, puis comédien, sur le tournage d’Al Kadia, la série policière réalisée par Nour-Eddine Lakhmari. Les propositions affluent. Tenant les rôles du métalleux chevelu accusé à tort de satanisme dans Les Anges de Satan d’Ahmed Boulane (2007), du comédien confident de Mohamed Achaour dans Un Film (2011) et du frère dealer de drogue dans L’Amante du Rif de Narjiss Nejjar (2012), le talent de Fehd Benchemsi se révèle surtout en 2009, dans The Man Who Sold The World de Swel et Imad Noury, adaptation cinématographique de la nouvelle Un Cœur Faible de Dostoïevski. Si le long-métrage des deux frères n’est pas un succès commercial, toujours est-il qu’il met au jour l’aisance et la finesse du comédien. Du front orageux au sourire malicieux, des éclats de colère à la crédulité enfantine, Fehd Benchemsi joue sur un panel d’émotions évidé de pathos à outrance et d’entrain faussé. Ce talent-là, il le met au service du dernier Faouzi Bensaïdi, Mort à Vendre, acclamé aux festivals de Marrakech et Tanger et primé au CICAE Panorama Award à Berlin et au festival de Milan. Qu’on se le tienne pour dit : Fehd Benchemsi se prépare à cueillir les étoiles.

 

Omar Lotfi 

L’angelot de Derb Soltane

Avec sa bouille d’ingénu et sa timidité d’enfant sage, on lui donnerait le bon Dieu sans confession… Avant que la caméra ne tourne, du moins. Lorsqu’il se présente au tout premier casting de sa vie, celui de Casanegra, deuxième long de Nour-Eddine Lakhmari, Omar, théâtreux de quartier, pense, au mieux, décrocher un rôle de figurant. C’est à l’affiche qu’il se retrouve, propulsé par le réalisateur et encensé par la critique (il remportera même le prix du meilleur acteur au festival du film de Dubaï), charmée par la fraîcheur de l’inconnu sorti de l’ombre. Depuis le rôle de Adil dans Casanegra (2008) qui le révèle au public et au monde du cinéma, Omar Lotfi écume les plateaux. Pas toujours regardant sur les rôles qu’on lui propose, le comédien se fait les dents et une réputation de bosseur forcené, capable à lui seul de magnifier la banalité d’un scénario bâclé. Omar Lotfi joue, entre autres, pour Mohamed Zineddine, Talal Selhami, Narjiss Nejjar ou encore Hamid Bennani. L’acteur de Derb Soltane ose même quelques scènes de langoureux baisers sous la direction de Abdelhay Laraki dans Les ailes de l’amour, long-métrage pour lequel il décroche le prix du meilleur acteur au festival de Tanger 2011. Cette année-là, Omar Lotfi est appelé sur la même scène et encouragé sous le même tonnerre d’applaudissements qu’il y a quelques années, pour son interprétation dans Casanegra. Avec peut-être un peu moins de surprise… Des rôles à sa hauteur, c’est tout ce qu’on lui souhaite.

 

Fatym Layachi 

Libre comme l’art 

à 28 ans et des poussières, Fatym Layachi fait partie de ces comédiennes qui attisent la curiosité et attirent la lumière. Dix ans après ses débuts fortuits dans le cinéma —elle est repérée, un peu par hasard, par Hakim Noury, qui lui offre son premier rôle dans Une histoire d’amour, puis apparaît en 2005 à l’affiche de Marock, réalisé Laïla Marrakchi—, l’actrice porte aujourd’hui l’effronterie, l’intelligence et la liberté d’un cinéma qui s’émancipe et se distingue. Après des études de lettres à Paris et quelques années à peaufiner son talent aux Cours Florent (le père Noury, après son tournage en 2002, lui dit qu’elle a “un truc” et lui assène un “siri te9ray” (va étudier) providentiel qui la convainc de faire des arts dramatiques sa profession), la comédienne rentre au bercail et enchaîne les rôles sulfureux. D’abord dans Un Film, de Mohamed Achaour, abruptement retiré de quelques salles à la suite de réactions outrées et irascibles d’un certain public. Puis en acceptant, comme un cadeau, de tenir le premier rôle de Femme Écrite, deuxième long-métrage de l’esthète Lahcen Zinoun, en salle à la mi-octobre. Là où les plus cinéphiles admireront certainement les images sublimées du réalisateur, le spectateur au discernement étriqué ne retiendra et ne pointera du doigt, sans doute, que les scènes de nu auxquelles se livre la comédienne. Les collets montés  pourront tout de même la considérer dans les costumes d’époque du tout premier long de Farida Bourkia, narrant la vie de Zaynab al-Nafzaouia, si néanmoins les mœurs de l’empire Almoravide leur siéent… Bref, Fatym Layachi ne fait pas dans le cinéma de bonne famille. Et elle l’assume.

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