“Je ne fume pas devant mon père”

Smyet bak ?

 

Ali Cherif.

 

Smyet mok ?

 

Aïcha.

 

 

Nimirou d’la carte ?

 

Je ne connais que mon numéro de sécurité sociale.

 

 

Vous n’avez toujours pas la nationalité française ?

 

Non, c’est un snobisme de ma part. Quand je vois les gens qui ont la nationalité mais restent des citoyens de seconde zone, je me dis, à quoi bon ?

 

 

Vous me devez 20 euros, vous vous souvenez ?

 

On avait parié sur un match à Paris. Je paie toujours mes dettes. Comme dit le proverbe : “L’argent n’appartient qu’à ceux qui le dépensent.”

 

 

Pourquoi êtes-vous encore classé “raï” par de nombreux disquaires et journalistes en France ?

 

Pour pas mal de personnes, un Arabe, ça ne peut rien faire d’autres que du raï. Moi, je les ai déstabilisés. Exemple : un jour je rencontre Frédéric Beigbeder. Il découvre que je travaille avec Brian Eno, le prestigieux producteur anglais, et, aussitôt, il devient un de mes fans. Comme s’il te fallait une caution quand tu es musicien arabe.

 

 

Selon vous, il y a un raï ‘français’ comme il y a un raï ‘oujdi’ ?

 

En France, le raï c’est terminé. ça s’est transformé en course aux cachets. Tout le monde a enregistré des reprises, sans rendre hommage aux artistes repris. Je ne veux pas donner de noms. Mais prenez Cheb Mami  par exemple… oups ! (rires) Bon, ce que je veux dire, c’est que le raï français, c’est le hold-up du siècle.

 

 

Pourtant, sur vos albums Diwan 1 et 2, il n’y a que des reprises…

 

Diwan, effectivement, c’est mon bac à disques : on y trouve ceux qui m’inspirent. Ces artistes que je reprends, je leurs rend hommage, je marque leur nom sur l’album et ils sont signalés à la SACEM.

 

 

Jouer avec Faudel, ça n’était pas un peu contre nature ?

 

Non, ça aurait été contre nature de ne pas jouer avec lui. C’était un gamin à l’époque, il voulait faire de la musique, il fallait jouer avec lui. Ce qu’il est devenu par la suite, ça ne me regarde pas.

 

 

Vous savez que pas mal de gens sont incapables de dire qui a écrit Ya Rayeh ?

 

Cette chanson est de Dahmane El Harrachi, un Algérois. C’était un grand musicien, très influencé par le Maroc.

 

 

On sent dans certaines de vos chansons l’influence du patrimoine marocain. C’est une bonne source d’inspiration pour vous aussi ?

 

Bien sûr ! Hossine Slaoui, les chanteuses berbères, c’est mon truc… A propos, je viens d’apprendre que j’étais chelh. Ma famille est originaire d’un village algérien qui s’appelle Zahana, dont les habitants viennent d’Agadir. Quant à la musique, j’ai commencé à en jouer avec des Casablancais, les frères Amini.

 

 

Quelle est la différence entre le chaâbi marocain et algérien ?

 

C’est l’accent ! Sinon, le chaâbi de Fès, de Tlemcen et même de Sfax se ressemblent beaucoup. Un paquet de chansons de chaâbi algérien sont marocaines, comme celles que chante le grand Mohamed El Anka par exemple. Des titres comme Qahwa oula atay sont marocains à la base. Mais aujourd’hui, c’est tellement chanté ailleurs que c’est juste maghrébin, point barre.

 

 

Pendant une dizaine d’années, vous n’êtes pas allé en Algérie. Vous étiez fâché ?

 

Comment ne pas être triste, frustré, quand on voit ce pays ? Regardez ce que c’est devenu. Les mômes veulent fuir, ils te disent tous : “Je veux aller en France ou au Canada”. En même temps, comme on dit, “on est fâché qu’avec ceux qu’on aime”.

 

 

Vous venez d’une famille qui compte des moujahidine. Pourtant, vous n’avez jamais vraiment eu la fibre patriotique.

 

Ah si… Je me souviens, vers 1977, je voulais aider à construire le pays. L’Algérie était à la pointe du socialisme. Avec d’autres, on voulait travailler dans des sortes de kolkhozes, à la soviétique. J’ai même pensé à m’engager dans l’armée. Et puis on a vite déchanté.

 

 

Quand vous avez vu dans votre poste télé des Tunisiens, des Egyptiens hurler “Barra, Barra”, titre d’une de vos chansons, ça vous a fait quoi ?

 

ça m’a fait tilter. Les gens gueulaient aussi “Virez-les, Jugez-les !”, des mots que

 

j’ai chantés aussi, il y a une dizaine d’années. L’histoire me rattrape.

 

 

Au Festival d’Essaouira de 2006, vous vous étiez un peu moqué de Barry, un chanteur marocain qui vous précédait sur scène en parodiant une de ses chansons. Pourquoi ?

 

Je me souviens qu’il refusait de quitter la scène. Il s’est attardé une demi-heure de plus que prévu. Il aurait fait ça dans un festival aux USA ou en Angleterre, il pouvait dire adieu à sa carrière. Du coup, oui, je me suis un peu moqué de sa chanson sur la tomate, c’était facile. Mais passez-lui le bonjour de ma part.

 

 

Derrière votre aspect rebelle, vous avez un côté “tradi prononcé, non ?

 

Bien sûr ! Par exemple, moi je ne fume pas devant mon père. A quoi ça servirait de le choquer, meskine ? Etre tradi, au final, c’est juste être respectueux et élégant.

 

 

Vous seriez en train de travailler un nouvel album ?

 

Oui, je bosse un album. Il y aura un titre dessus, Zoom, sur lequel je sample et chante Oum Kalthoum. ça sortira en février j’espère. Je vais vous faire écouter, vous serez le premier, non… le deuxième à l’entendre.

 

 

Chanter le sexe et l’alcool, marque de fabrique du raï, c’est vraiment subversif ?

 

Quand les femmes chantent le sexe, c’est subversif, quand c’est des mecs, moins. Quand une Algérienne chante “Où tu dors ce soir ?”, c’est subversif. Même en anglais, t’entends pas ça.

 

 

Et les caricatures du prophète publiées en France par Charlie Hebdo, c’est subversif ?

 

Non ! Ces types sont des petits-bourgeois réactionnaires, islamophobes. Ils ne savent pas de quoi ils parlent. Et en face, les intégristes, ce sont de vrais fachos aussi, faut pas les suivre.

 

 

Les gens qui vous dépeignent comme un junkie, vous leur répondez quoi ?

 

Tout le monde a ses démons. Je me moque de ce qu’ils disent. Le jour où des critiques sérieux écriront que j’ai failli à mon devoir de qualité, là je le prendrai en compte. J’ai tout entendu à propos de moi dans la presse, même que je comptais me suicider. Ce qui me fait mal, c’est qu’après, ma mère me demande si c’est vrai.

 

 

Vous aviez dit que vous aviez coupé le cordon le jour où vous aviez réalisé que le couscous de votre mère n’était pas le meilleur du monde…

Oui, effectivement. Le couscous qui l’a emporté, c’était l’œuvre d’un homosexuel marocain. La claque ! C’est du Freud façon de chez nous, ça.

 

Antécédents

  • 1958. Naît près d’Oran
  • 1968. S’installe en France
  • 1981. Monte avec des copains le groupe Carte de Séjour, qui participe activement à la lutte antiraciste

 

  • 1985 . Naissance de son fils Lyes
  • 1986. Crée la polémique en reprenant la chanson Douce France de Charles Trénet
  • 1991. Sort son premier album solo, Barbès
  • 2004. Connaît un énorme succès avec Tékitoi
  • 2012. Prépare un nouvel album. Date de sortie prévue : février 2013

 

 

 

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