Mauvais film

Par Karim Boukhari

Un obscur cinéaste américain du nom de Sam Bacile, inconnu au bataillon, a eu l’idée de filmer une sorte de pamphlet retraçant le parcours de Mohammed, le prophète de l’islam. Personne n’a vu le film au doux nom de Innocence of muslims, qui n’a presque eu aucune carrière commerciale, mais des millions d’internautes ont créé le buzz après avoir visionné des extraits de la bande-annonce, une quinzaine de minutes qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Qu’y voit-on ? Les pires clichés véhiculés sur l’islam et son messager : violence, racisme, sexisme, pédophilie, etc. Le “bidule” tourné par Sam Bacile, qui a tout du parfait nanar, mérite sans doute sa place au cimetière des plus mauvais films jamais réalisés. En plus d’être, à sa manière, très approximative, une sorte de film à thèse, une démonstration que l’islam est le pire ennemi de notre époque. Bête, stupide et méchant.

Bien entendu, l’histoire ne s’arrête pas là et la suite ressemble, aujourd’hui, à la boutique des horreurs. Dans un monde arabe qui continue de refuser toute représentation du prophète, et dont la susceptibilité plafonne toujours à des sommets alarmants, la foule en colère s’en est pris…à l’Amérique. En Libye, des terroristes (comment les appeler autrement ?) sont allés jusqu’à attaquer le consulat américain de Benghazi, tuant au passage l’ambassadeur Christopher Stevens. D’autres manifestations ont lieu devant les représentations américaines dans le monde arabe. Dont l’une, importante, à Casablanca, où des centaines de personnes se sont rassemblées pour prier et protester…contre un très mauvais film américain qu’elles n’ont pas vu.

Et voilà comment le monde arabe, pourtant en plein “printemps”, a commémoré le 11ème anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 : en tuant un diplomate américain. Et en semant la confusion générale : à cause du timing si particulier du 11 septembre, mais aussi à cause du profil du diplomate, Christopher Stevens étant connu pour son soutien au Printemps arabe.

L’affaire du film américain ressemble à une arme de destruction massive. Elle est pire que celle des caricatures du prophète parues dans un journal danois en 2007. Pire aussi que l’histoire d’un autre cinéaste, le Hollandais Théo Van Gogh, assassiné en 2004 pour avoir réalisé un autre mauvais film, Submission. L’affaire Innocence of muslims porte en elle tous les germes destinés à faire tourner la tête du manifestant arabe moyen : le film est réalisé par un Américano-Israélien qui considère l’islam comme “un cancer”, et il a été principalement soutenu par un blogueur copte égyptien et un pasteur américain islamophobe. Avec les Etats-Unis et Israël comme toile de fond, et la double opposition musulmans – chrétiens et Islam – Occident pour faire monter la température, secouez tous ces ingrédients et lâchez dans la nature : le cocktail est mortel !

A ce stade, la tentation est grande d’emprunter tous les raccourcis du monde. A commencer par l’idée selon laquelle l’Amérique a fabriqué le Printemps arabe dont les vainqueurs, les salafistes, se retournent contre elle. Simpliste. Nous n’avons ni le recul, ni les éléments pour étayer ce qui ressemble, pour le moment, à une déclinaison de la fameuse théorie du complot (anti-arabe, anti-islam, etc.).Avant d’aller aussi loin, revenons simplement à l’objet de la discorde : Innocence of muslims. Ce n’est qu’un mauvais film, un de plus, que l’on peut éviter de voir, ou que l’on peut voir, nous énerver quelques minutes durant, et oublier. Ni plus ni moins.