Finances publiques. La descente aux enfers

La crise budgétaire étatique entraîne le pays dans la spirale infernale du surendettement. Autopsie d’une économie au bord du gouffre.

 

Vendredi 3 août. Le conseil d’administration du FMI décide d’octroyer au Maroc une ligne de crédit de 6,2 milliards de dollars (près de 53 milliards de dirhams). Le montant est énorme. Il représente plus de la moitié de toute la dette extérieure du pays, qui culmine aujourd’hui à près de 100 milliards de dirhams. Ce prêt, qui a tout l’air d’une opération de sauvetage, est présenté aux médias comme une simple mesure de précaution, une “police d’assurance contre les éventuels risques qui planent sur l’économie marocaine”, comme le souligne Christine Lagarde, la patronne du FMI. L’argentier du royaume, Nizar Baraka, ne dit pas autre chose, considérant que cette ligne de précaution est juste un matelas de sécurité, à même de rassurer les marchés internationaux quant à la bonne santé financière de Maroc S.A. et sa capacité à tenir ses engagements financiers. Dans la forme, ce prêt ressemble à une réserve d’appoint, un simple découvert qu’un banquier mettrait à la disposition de tout “bon” client. Et un découvert, on n’est pas obligé de l’utiliser. Quand on le fait, c’est juste pour boucler les fins de mois difficiles ou parer à des imprévus. Ceci dans la forme. Dans le fond, les choses sont bien plus compliquées. Et le Maroc est loin d’être ce client aux revenus réguliers, bon vivant, qui consomme plus que ce qu’il gagne et qui pioche dans sa facilité de caisse pour boucler ses creux de trésorerie. Christine Lagarde le sait très bien. Nizar Baraka aussi. Mais ils ne vous le diront jamais.

 

 Un “PAS” de plus

“Arrêtons la comédie. On est en plein PAS”, tonne Najib Akesbi, l’économiste de gauche qui ne mâche pas ses mots. Le PAS, ce fameux “programme d’ajustement structurel” imposé aux pays du Tiers- Monde au début des années 1980 par le FMI et la Banque Mondiale est encore dans les mémoires. Impopulaire, il a fait des ravages partout où il a été appliqué, y compris au Maroc. Le PAS est synonyme de restrictions budgétaires, de gel des salaires, de réduction des investissements publics, de montée du chômage, de privatisations tous azimuts… mais surtout de perte de souveraineté nationale. Les institutions monétaires internationales vous sauvent la vie, vous évitent la banqueroute, mais vous “avalent”, prennent le pouvoir et dirigent votre destin pour assurer leurs intérêts. Ce scénario, que le Maroc des années 1980 a vécu douloureusement, semble se reproduire aujourd’hui, avec des appellations différentes. Désormais, on ne parle plus de PAS, mais de “ligne de précaution”. “C’est du simple marketing. Le FMI est une banque comme les autres, qui essaye d’abord de vendre ses produits. Nous n’allons pas imaginer que le FMI nous prête des milliards de dollars sans imposer ses conditions, au moins pour s’assurer qu’il sera remboursé. Le PAS est toujours de rigueur. Seul le packaging a changé”, explique Akesbi, qui part du principe que les même causes produisent les même effets et conduisent aux mêmes résultats. Moins pessimiste, Habib El Malki, un des leaders de l’USFP et patron du Centre marocain de conjoncture, ne va pas jusque là, mais tire lui aussi la sonnette d’alarme : “Ce prêt est un prémice à un nouveau plan d’ajustement structurel. Le FMI n’est pas une institution caritative. Et il a dû imposer des conditions lourdes à l’utilisation de cette ligne de précaution. Le gouvernement doit agir rapidement par des réformes structurelles, sinon ce sera la catastrophe”.

 

Au royaume des déficits

Si deux illustres économistes marocains disent cela, c’est qu’il y a vraiment péril en la demeure. Le gouvernement Benkirane refuse encore de déclarer “l’alerte générale”, mais les indicateurs et les chiffres sont têtus. Ils sont alarmants. Et ce à tous les étages. A commencer par le budget de l’Etat, qui signe sur les six premiers mois de l’année un déficit de près de 22 milliards de dirhams, soit le double du trou enregistré à la même période l’année dernière. Une année catastrophique qui s’est soldée par un déficit budgétaire de 7%, si l’on croit les chiffres avancés par le très carré wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri. Le gouvernement s’attache malgré tout à sa prévision de 5% de déficit, pourtant difficilement tenable. “On terminera l’année au meilleur des cas à un déficit de 6% du PIB”, prévoit l’ex-ministre des Finances et patron du centre de recherche Links, Mohamed Berrada. En cause, la Caisse de compensation, cet ogre qui a englouti 80% de son budget sur les six premiers mois de l’année, et la masse salariale qui a grimpé de plus de 16% sur la même période, à cause des hausses de salaires décidées par Abbas El Fassi en 2011 pour apaiser les tensions sociales nées du Printemps arabe et du Mouvement du 20 février. Autre déficit, autre mal : le stock de devises du pays fond comme neige au soleil. Assurant 11 mois d’importations il y a trois ans, les réserves en dollars et en euros du Maroc ne couvrent plus aujourd’hui que 4 mois d’achats à l’international. “On tire la sonnette d’alarme depuis longtemps, mais personne ne nous écoute. Le déficit du commerce extérieur nous mettra à terre”, s’alarme l’ex-argentier du royaume. 

 

Sale conjoncture

La conjoncture internationale n’arrange pas les choses : les cours des matières premières importées par le Maroc (pétrole, céréales, sucre…) ne cessent de grimper, accélérant les sorties de devises. En face, les rentrées se réduisent comme peau de chagrin : le tourisme est en berne, les MRE, en crise dans leurs pays d’accueil, ne transfèrent plus autant d’argent qu’avant, les investisseurs étrangers se font désirer, et les rares produits que le Maroc exporte ne font plus recette. “Plus que les problématiques budgétaires, c’est le déficit de la balance commerciale qui gangrène l’économie du pays, et qui risque de nous faire rentrer dans la spirale infernale de l’endettement”, analyse Najib Akesbi. La même spirale qui a mis à genou des économies plus solides, comme celles de l’Espagne, l’Italie ou encore la Grèce. Pour subvenir à ses besoins énergétiques, alimentaires et d’équipement, le royaume chérifien est donc acculé à s’endetter en devises. La ligne ouverte par le FMI s’inscrit dans ce sens. Idem pour la levée de 1 milliard de dollars annoncée par l’argentier du royaume et qui devra se faire au plus tard en novembre, selon une source à la direction du Trésor… Bref, la spirale, on est bien dedans. Il ne reste plus qu’à croiser les doigts.

 

Budget. Demain l’austérité ?

La Loi de Finances 2013 sera le véritable test pour le gouvernement Benkirane quant à sa capacité à faire face à la crise économique. Les attentes sont énormes : réforme de la Caisse de compensation, maîtrise des dépenses de fonctionnement, relance de l’investissement privé, réforme de la fiscalité… Le budget 2013 est celui de la dernière chance. Mais si rien ne filtre pour l’instant à propos de la construction générale du budget, l’avant-goût est assez amer. Trop “littéraire”, la lettre de cadrage adressée par le Chef du gouvernement à ses ministres ne mentionne aucun chiffre, aucune piste concrète de réforme. Sauf quand il s’agit de la réduction du train de vie de l’Etat. Abdelilah Benkirane est ici très précis : fini les achats de voitures et les acquisitions de biens immeubles, les réceptions et les déplacements seront réduits au minimum, les enveloppes d’investissement seront passées au crible avant tout engagement, les recrutements seront limités au juste nécessaire… Plus qu’une rationalisation des dépenses de l’Etat, c’est une politique d’austérité pure et dure que nous annonce le Chef du gouvernement. Une politique que Habib El Malki qualifie de “cure d’amincissement salvatrice”, sauf qu’elle sera “administrée à un corps anémique”. On imagine bien la suite.

 

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