Syrie. Les exilés de Damas

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Avec l’intensification des combats, les Syriens sont de plus en plus nombreux à fuir leur pays. Reportage au poste-frontière de Masnaa, où des milliers de personnes pénètrent chaque semaine au Liban.

Il est presque 12h et le soleil commence à cogner. Depuis plusieurs minutes, le flot de véhicules ne tarit pas. Une file de taxis syriens jaune et blanc immatriculés à Damas et Deraa, quelques minibus et des voitures individuelles franchissent au compte-gouttes le premier des checkpoints du côté libanais de la frontière. Nous sommes au point de passage de Masnaa, à 40 km de Damas, et à une heure et demie de Beyrouth. Sur les toits, dans les coffres, des valises qui s’entassent, ficelées un peu n’importe comment, quelques matelas et des couvertures pliées dans tous les sens. Les départs ont surtout eu lieu dans les jours ayant suivi l’attentat contre le bâtiment de la Sécurité nationale à Damas. Après avoir franchi les premières barrières de l’armée libanaise, les véhicules syriens se garent un à un, le temps de s’acquitter des taxes douanières, puis s’engagent vers le second barrage. Les agents de change, caressant leurs liasses de billets, attendent tranquillement le client. Il n’y a aucun affolement, mais la tension est palpable : plusieurs familles refusent de s’exprimer.

 

Middle-class heroes

A notre vue, les vitres se ferment subitement, les moteurs redémarrent.  “Nous partons changer d’air et faire un peu de shopping au Liban. La situation est tout à fait normale en Syrie, nous ne fuyons pas. Il ne faut pas écouter les mensonges que racontent Al Jazeera et Al Arabiya”, s’exclame une jeune femme, qui accepte d’entrouvrir la portière arrière de sa voiture noire aux vitres teintées. “La fumée à Damas, ce sont des jeunes qui brûlent des pneus à Kfar Sousse (ndlr : quartier de la banlieue de Damas acquis à l’opposition), ce ne sont pas les bombardements de l’aviation”, renchérit un autre homme d’une quarantaine d’années, qui ne cache pas son énervement au volant de son 4×4. Une petite croix pend à son rétroviseur. Pour lui comme pour beaucoup d’autres,“si les terroristes n’avaient pas le soutien de pays étrangers, les combats seraient déjà finis depuis longtemps”. Une bonne partie des personnes qui fuient la région de Damas appartient à la classe moyenne ou aisée, et affiche son soutien à Bachar Al Assad. Leurs voitures -et les domestiques qui parfois les accompagnent- laissent deviner leur train de vie : rien à voir avec les vagues de réfugiés des derniers mois, qui franchissaient souvent la frontière libanaise à pied avec quelques vêtements. “La plupart des familles changent 2000 à 3000 dollars une fois arrivés au Liban”, explique un agent dans un bureau de change de Chtaura, une bourgade près de la frontière. Certains ont déboursé plus de 200 dollars pour faire le trajet en taxi depuis Damas.

 

Peur sur la ville

Les langues se délient difficilement, mais quelques personnes acceptent de se confier. Sur le parking entre les deux checkpoints de l’armée libanaise, Mona, qui porte un voile bleu et jaune, attend son mari avec ses deux petites filles. Ils sont arrivés à sept du quartier de Baramké, situé près des vieux souks de Damas, au cœur de la métropole syrienne. “Les combats ne sont pas arrivés dans notre quartier, mais, psychologiquement, c’est devenu très difficile. A Damas, tout le monde a désormais peur de tout le monde. Il y a de la fumée noire qui s’élève du quartier de Mazzé, des bombardements nuit et jour, des barrages à tous les carrefours où les hommes sont contrôlés par l’armée. Nous n’avons jamais connu un tel chaos”, raconte Mona, le regard anxieux. Omar, croisé également sur le parking, vit tout près de Midane, un des quartiers où s’affrontent régulièrement les combattants de l’Armée syrienne libre et les soldats de l’armée régulière. Il insiste pour vérifier à plusieurs reprises que nous ne cachons pas de caméra. “La plupart des habitants de Midane sont partis, les magasins sont fermés, il n’y a pas d’électricité, personne dans les rues après 19h. Les derniers jours, on avait couvert les vitres avec des draps pour ne pas être touchés par des éclats de balles”, explique ce père de famille. Il évoque également des soldats de l’armée syrienne libre. “Ils ont aussi leurs propres barrages dans les zones rurales, avec des listes de noms, pour arrêter les dénonciateurs, ceux qui collaborent avec le régime”.

Plus loin, dans un minibus, une famille de huit personnes vient tout juste de quitter Zabadani, à 40 kilomètres de Damas. La ville de 50 000 habitants est régulièrement pilonnée par l’armée syrienne. “La maison de nos voisins a été bombardée, toutes nos fenêtres ont volé en éclats. Nous enterrons des morts toutes les semaines. C’est trop dur pour les enfants, nous allons nous réfugier chez de la famille à Baalbek”, nous explique une jeune maman, avant que son van ne file. Il faut dire que le lieu n’est pas vraiment propice aux confidences. Debout près d’un petit muret en béton, un homme qui tient sa petite fille dans les bras, commence à nous expliquer qu’il est “fatigué” des bombardements permanents sur la capitale. Un agent de change avec un chapeau de paille s’approche alors, écoutant attentivement la discussion. Le père de famille détourne subitement le sujet, expliquant que les “terroristes vont avoir des problèmes”.

 

On va où ?

Juste à l’arrivée en territoire libanais, un petit stand du Courant du Futur, le parti sunnite de Saad Hariri, le fils de l’ancien Premier ministre assassiné en 2005, occupe le terrain et prend en charge des familles. Plusieurs écoles du village frontalier de Majdel Anjar ont été mises à disposition pour accueillir les réfugiés. Mohamed vient d’arriver de Damas avec sa femme et son bébé de six mois. Sur les bancs des classes, les affaires du couple tiennent dans quelques sacs. La famille est originaire du quartier de Karm El Zeitoun, à Homs, et change de lieu pour la troisième fois en trois mois. “Notre maison a été brûlée et pillée à Homs, et nous avons trouvé refuge à Sayeda Zeinab, au sud de Damas. Je vendais des légumes dans le camp palestinien de Yarmouk et les habitants nous ont aidés à payer l’hôtel”, confie l’homme de 27 ans. “L’armée a bombardé  Sayeda Zeinab, et nous avons dû fuir de nouveau. J’ai eu très peur à la frontière, quand ils ont vu que nous étions originaires de Homs, ils ont mis dix heures avant de nous laisser passer”. A 23h, il a enfin pu franchir le dernier checkpoint au Liban. Pour la première fois depuis plusieurs mois, Mohamed se trouve en sécurité. Mais jusqu’à quand ?

 

Maroc -Syrie. Le torchon brûle

La dernière séance du Conseil de sécurité fin août consacrée à la situation en Syrie a été l’occasion d’une joute oratoire musclée entre Mohamed Loulichki, l’ambassadeur du Maroc auprès de l’ONU et Bachar Jaafari, l’ambassadeur de Syrie auprès de l’ONU. Le diplomate marocain a notamment accusé le régime syrien d’avoir transformé la crise interne en “un conflit armé avec usage d’armes lourdes et d’avions de combat ciblant des zones civiles, en plus d’enlèvements et d’exécutions extrajudiciaires, avec tout ce que cela suppose comme violations flagrantes des droits de l’homme et du droit humanitaire international”. Bachar Jaafari a répliqué en appelant l’Etat marocain à “satisfaire aux aspirations du peuple marocain, dont la première est l’abolition des rituels monarchiques qui font partie du passé et qui obligent tout Marocain à se prosterner devant le roi et à lui baiser la main”. Depuis juillet dernier, l’ambassadeur de Syrie à Rabat a été expulsé, de même que l’ambassadeur marocain à Damas. La 3ème conférence des “Amis du peuple syrien” doit avoir lieu en octobre au royaume, et devrait se tenir en présence d’une centaine de délégations étrangères, pour

la plupart hostiles au régime de Bachar Al Assad.

 

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