Don Bigg. Hip hop Tal Mout

Il s’agit sans aucun doute du rappeur le plus talentueux, mais aussi le plus controversé de la scène urbaine. Rencontre avec Taoufik Hazeb, qui revient sur le devant de la scène après plusieurs mois de silence.

Vous aviez disparu ces derniers mois… Pourquoi ?

Je disparais toujours après la sortie d’un album pour me ressourcer et faire le vide dans ma tête. C’est important pour moi d’avoir assez de recul par rapport à mon travail. Cela me permet de revenir avec un meilleur projet et en même temps, de me consacrer à ma petite famille et à mon entourage qui est ma principale source d’inspiration. Surtout que maintenant il y a un nouveau venu dans ma vie, mon fils, Taoufik Junior.

Pourquoi est-ce qu’on ne vous voit pas plus souvent sur scène ?

Il faut savoir qu’il est très difficile de monter une tournée privée au Maroc. La dernière que j’ai pu organiser a eu lieu en septembre dernier. Et pour ce qui est des festivals, je m’y produis lorsqu’on m’invite.

Quels sont vos projets actuels ?

Je prépare actuellement le DVD de mon dernier concert privé. Il a été produit par ma société, DBF Productions, pour montrer ce que peut faire un artiste indépendant. En même temps, je suis en train de préparer une mixtape, où il y aura beaucoup de collaborations avec de nouveaux talents inconnus du public mais qui méritent de se faire connaître. Et entre les deux, je commence à feu doux mon prochain album.

Ces dernières semaines, vous vous êtes réconcilié à la fois avec Muslim, votre rival tangérois, et avec l’Boulevard. Comment est-ce arrivé ?

On m’a simplement demandé à l’antenne pendant une émission radio si j’avais un différend avec Muslim, j’ai clairement répondu que non. Donc il n’y a pas de page à tourner. Concernant l’Boulevard, nous avons eu un problème en 2008. Il aurait été puéril de rester sur ça. Il faut savoir aller de l’avant dans la vie.

Vous êtes toujours hostile au Mouvement du 20 février ?

Comment pourrais-je être hostile à une chose qui n’existe plus ?

Vous avez voté aux dernières élections législatives ?

C’est un choix personnel, il est donc confidentiel.

L’arrivée du PJD au gouvernement, ça vous inquiète ?

Honnêtement, pas plus que l’arrivée du gouvernement El Fassi en 2007. Les Marocains ont toujours demandé à ce qu’il y ait une démocratie au Maroc, aujourd’hui on l’a : les urnes ont parlé, le peuple a décidé. Il est encore trop tôt pour juger le gouvernement Benkirane, il faut attendre que son mandat arrive à échéance. Après, on pourra parler de changement ou de renouvellement de confiance.

Et leur concept “d’art propre” ?

Il ne m’inquiète pas plus que cela, étant donné que l’art est par définition un champ illimité de création et ne peut donc subir aucune catégorisation ni limites, qu’elles soient sales ou propres. Ils ne peuvent donc pas poser d’obstacles concrets à cette vision de l’art.

À la sortie du clip Mabghitch, certains de vos détracteurs vous ont accusé d’être un vendu, alors que d’autres vous ont simplement traité d’illuminati. Que leur répondez-vous ?

Je leur réponds que le clip n’a été financé par aucune organisation politique ou institution étatique (rires). Et concernant ceux qui pensent que je suis un franc-maçon qui ne s’assume pas, je répondrais juste que je suis toujours étonné par l’étendue de l’imagination des Marocains.

Le clip est passé sur MTV lors de sa sortie. Comment y êtes-vous arrivé ?

En fait, il a été diffusé dans le cadre d’un documentaire. Après, il a été question qu’il passe en rotation sur la chaîne, mais il a été finalement refusé parce qu’il contenait, selon eux, beaucoup d’images violentes. On m’a demandé de retirer, par exemple, les images des acteurs avec les cordes autour du cou. Mais j’ai refusé, par principe.

Est-ce qu’on peut gagner sa vie en faisant uniquement du rap au Maroc ?

Oui, mais il faut avoir les reins vraiment solides —pour être poli et ne pas dire autre chose— et être très débrouillard pour pouvoir joindre les deux bouts.

Dans la famille Hazeb, le rap est une affaire de famille, puisque votre petit frère est également MC. Vous allez pousser votre fils à suivre ce chemin quand il sera plus grand ?

Si la situation reste aussi anarchique, je pense que j’aurais la même réaction que  mon père lorsque je lui ai dit que je voulais me lancer dans le hip hop. Je demanderais donc à mon fils d’être réaliste avant toute chose. C’est malheureux mais c’est la réalité.

À votre avis, est-ce que la problématique des droits d’auteur au Maroc est sur le point de voir le bout du tunnel ?

Depuis la dernière réunion entre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), le Bureau marocain des droits d’auteur (BMDA) et les artistes, je suis assez optimiste. Mais je ne pourrais être confiant que lorsque nos artistes mettront leurs conflits et leurs egos à part et se battront ensemble pour arracher leurs droits. S’il le faut, nous devrions sortir dans la rue pour cela, et faire notre révolution artistique. Je peux vous dire que je suis certain d’une chose : la précarité de la vie des artistes au Maroc est une bombe à retardement. Le ministère de la Culture devrait se pencher sérieusement sur cette question.

Avec du recul, quel regard portez-vous sur le mouvement de la Nayda, qui a eu lieu au milieu des années 2000 ?

Je l’ai toujours dit, il n’y a jamais eu de Nayda chez nous. Certains ont voulu la comparer à la Movida espagnole, alors que la situation était complètement différente. Il y a eu simplement un élan de création à cette période, qui a stagné pendant plusieurs années, et qui reprend ces temps-ci avec de nouvelles figures.

 

Parcours. Entre admiration et controverse

Une chose est sûre, Don Bigg ne laisse personne indifférent. En 2006, lorsqu’il sort son album Mgharba tal mout, c’est le buzz. Le public découvre un rappeur qui n’a pas la langue dans sa poche et qui manie très bien la darija. Ses textes sont chocs et sa musique accrocheuse. Résultat ? L’album cartonne sur le Net et des titres comme l’excellent l’Khouf deviennent de véritables hits. Taoufik Hazeb devient à 23 ans l’idole de toute une nouvelle génération. Trois ans plus tard, il récidive, avec Byad ou k7al, qui ne connaît pas un succès aussi fulgurant que son premier album, même s’il est musicalement plus travaillé. Mais la controverse autour du personnage arrive à son comble avec la sortie du morceau et du clip Mabghitch en 2011, où le rappeur se prononce contre le Mouvement du 20 février et contre Al Adl Wal Ihsane. Une partie des médias et du public l’accusent alors “d’opportunisme”, et de vouloir servir les “intérêts du Mahkzen”. Mais le rappeur assume totalement ses prises de position et travaille actuellement sur un troisième album qui devrait autant faire parler de lui que les opus précédents.

 

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