Mohamed Nechnach. “Il faut libérer tous les détenus d’opinion”

Immunité des militaires, torture, répression des manifestations pacifiques, liberté sexuelle, peine de mort… le nouveau président de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH) se dit préoccupé par l’usage excessif de la force publique et par certaines déclarations gouvernementales. Entretien.

Violences répétées, allégations de torture et d’enlèvement, procès d’opinion… quelle évaluation faites-vous aujourd’hui de la situation des droits de l’homme au Maroc ?

Toutes ces thématiques nous préoccupent au plus haut point. Et nous suivons l’ensemble de ces dossiers de très près, au jour le jour. Nous restons cependant optimistes car, pour la première fois depuis l’indépendance du pays, 15 articles de la Constitution insistent sur le respect des droits humains dans leur conception universelle et consacrent la suprématie des conventions internationales sur les législations nationales. La société civile a également voix au chapitre aujourd’hui et peut devenir une vraie force de proposition. Théoriquement, le pays a donc fait un pas en avant.

Soit. Mais sur le terrain, les atteintes aux droits de l’homme continuent. Les témoignages faisant état de tortures et parfois de viols n’altèrent-ils pas votre optimisme ?

C’est vrai qu’il y a un décalage entre la théorie et la pratique. C’est d’ailleurs valable pour tous les pays qui ont opéré des transitions démocratiques. Les lois et les conventions internationales ne changent pas les mentalités. D’ailleurs, nous constatons ce décalage jusque dans les rangs de la police, de la gendarmerie ou des Forces auxiliaires. Alors que certains officiers et sous-officiers sont parfaitement conscients de la nécessité de respecter et de protéger la dignité des citoyens, d’autres la bafouent sans vergogne.

Comment expliquez-vous que malgré les nombreux rapports nationaux et internationaux faisant état de cas de torture, aucun responsable n’ait été traduit devant la justice ?

Nous avons un réel problème de reddition de compte. Chaque cas de torture, même isolé, est une réelle catastrophe. Et je ne parle pas que des sévices corporels ou des cas de viols. Priver un détenu de sommeil ou de nourriture est une forme de torture. Il faut mettre un terme à cette impunité. Dans plusieurs de ses discours, le roi a lui-même expressément demandé à sanctionner ces dérapages. C’est une responsabilité partagée entre le monde associatif et les partis politiques. En tant qu’association, nous ne pouvons que tirer la sonnette d’alarme à travers des enquêtes, des communiqués ou à travers le rapport parallèle que nous présentons devant le Haut commissariat aux droits de l’homme à Genève. C’est aux partis politiques de porter ces revendications devant le parlement et de faire pression sur le gouvernement au lieu de s’embourber dans des polémiques marginales. 

Quelle issue préférez-vous pour régler la problématique des détenus salafistes ?

Je crois qu’il est grand temps de relâcher tous les détenus d’opinion que comptent les prisons marocaines. Par détenu d’opinion, je désigne toute personne emprisonnée à cause de ses opinions politiques ou religieuses, et qui n’a commis aucun acte criminel.

Depuis quelques mois, la dispersion des manifestations se fait systématiquement dans la violence. Cette dernière peut-elle se justifier dans certains cas ?

Nous constatons qu’il y a un usage excessif, injustifié et inapproprié de cette force pour contrer des manifestations pacifiques. Nous constatons également que le recours à la force a gagné en intensité depuis le déclenchement des manifestations du 20 février. Je dispose d’une photo choquante où on voit trois agents de sécurité s’acharner contre un homme plaqué au sol. C’est inacceptable. Cet usage excessif de la force a aujourd’hui créé une vive animosité entre les citoyens et les forces de l’ordre. De plus en plus également, des citoyens répondent par des actes tout aussi violents en attaquant les forces de police ou en saccageant des installations publiques (véhicules, administrations, etc., ndlr). C’est une situation dangereuse et alarmante.

Cela a-t-il un lien avec la loi sur l’immunité des militaires, toujours en discussion et qui fait grande polémique ?

Je ne vous cache pas que j’ai été étonné par ce texte de loi. Nos militaires n’ont jamais eu besoin d’une loi pour les protéger contre qui que ce soit, du moment que la loi nationale s’applique équitablement à tout le monde. Au sein de l’OMDH, nous nous attendions plutôt à la ratification des textes relatifs à la Cour pénale internationale. C’est vous dire notre étonnement et notre frustration. C’est une loi anticonstitutionnelle. Que se passera-t-il si demain, un militaire séquestre, torture ou enlève un citoyen ? Peut-il se cacher derrière les ordres reçus de sa hiérarchie ? C’est illogique. Au sein de l’OMDH, nous restons également convaincus qu’en tant que chef des armées, le roi ne peut tolérer que des ordres contraires à la morale ou à l’éthique ne soient donnés. Cette loi n’a donc pas lieu d’être. Elle doit être retirée au plus vite. Les militaires sont nos frères et nos enfants. Nous les respectons et nous saluons leurs efforts dans la protection et la défense de la patrie. 

Approuvez-vous, au sein de l’OMDH, la revendication portée par certains militants associatifs pour dépénaliser les relations sexuelles entre deux personnes adultes en dehors du cadre du mariage ?

Chaque personne est libre de ses actes tant qu’elle ne porte pas atteinte à l’ordre établi. Au sein de l’OMDH, nous nous intéressons plus à la protection des mineurs et à la question du trafic des êtres humains. Dans toutes nos actions, nous prônons les valeurs et les constantes de notre société. Nous ne considérons donc pas que la liberté sexuelle soit une priorité aujourd’hui.

Certains responsables gouvernementaux ont également affirmé que l’abolition de la peine de mort n’était pas une priorité au Maroc. Etes-vous d’accord avec eux ?

Non. Le Maroc n’applique plus cette peine depuis plusieurs années. Mais en refusant d’abolir la peine de mort, il donne donc de lui l’image d’un pays sanguinaire. Des peines alternatives peuvent parfaitement remplacer la peine capitale.

Le gouvernement islamiste peut-il constituer un danger pour la cause des droits de l’homme au Maroc ?

Nous nous sommes réunis avec plusieurs ministres appartenant à ce gouvernement, et le contact s’est plutôt bien passé. Mais nous restons extrêmement préoccupés par la régression de la représentation féminine aux postes de responsabilité. Idem à propos de certaines déclarations concernant la consommation d’alcool ou la liberté de création artistique. Je crois que ce gouvernement ne partage pas notre vision universelle des droits de l’homme. Mais nous serons là pour le rappeler à chaque fois. 

 

Zoom. OMDH, association docile ?

Dans le milieu associatif, l’OMDH traîne l’image d’une association sérieuse mais conciliante, voire makhzénienne. “C’est vrai que ces dernières années, répond Mohamed Nechnach, la présence de certains dirigeants de l’association au sein d’instances officielles a pu installer un sorte de confusion. Mais, aujourd’hui, nous tenons à affirmer haut et fort que nous sommes une force de proposition totalement indépendante, aussi bien du gouvernement, de l’Etat que des partis politiques”. La méthode OMDH ne changera pas pour autant. “Lorsque nous sommes saisis d’une affaire, nous menons notre enquête et nous contactons les différents protagonistes pour trouver, dans le calme, une issue honorable. Nous ne médiatisons l’affaire qu’une fois tous les recours épuisés”, conclut Nechnach.

 

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