Été indien

Par Karim Boukhari

L’avantage, quand on voyage loin, c’est qu’on se fait petit, mais alors tout petit. Quand, à l’aéroport, on vous demande le nom de votre pays, et que vous répondez Morocco, le monde se divise brusquement en deux : il y a ceux qui vous disent “Monaco ?”, et puis il y a les autres qui ne comprennent pas ce que vous dites, écarquillant bien les yeux, ou évitant simplement de pouffer de rire. Mais voyons, c’est quoi ce pays au nom bizarre ? Oh oui, oui, le pays de Casablanca, de Marrakech et de Fès, celui de la monarchie absolue, du roi-citoyen et des citoyens-sujets, le pays du sable et des dunes qui a tant de mal à récupérer le Sahara occidental. “Yes, yes” vous dit votre interlocuteur, enfin rassuré, comme on peut l’être lorsqu’un lointain et vague souvenir vous prend par surprise. Vous réalisez ce que le monde sait mais pas forcément nous : le Maroc est un petit pays bien sympathique, point barre. La leçon d’humilité vous prend de la tête aux pieds et se poursuit quand, abordant un confrère non marocain, non arabe, non musulman, vous lui demandez “Que pensez-vous du Printemps arabe ?”, et qu’il vous réponde le plus naturellement du monde “Mais quel printemps, nous sommes en été mon ami !”. Le printemps se conjugue déjà au passé. La prometteuse Tunisie est dominée par les islamistes, politiquement bien sûr mais aussi socialement. L’Egypte aussi. La Libye n’est pas loin. Seule l’Algérie a échappé au “printemps”, préférant replonger dans le long hiver du FLN, le vieux parti éternellement vissé au pouvoir. Je me rappelle, ici, d’un mot resté fameux et à vrai dire blessant pour nos voisins de l’est quand Hassan II, un peu machiavélique et très sarcastique, avait pronostiqué que l’Algérie servirait toujours de “laboratoire” pour le Maroc. Ce n’est pas si faux puisque le royaume chérifien observe ses voisins, celui de l’est pour commencer, et ensuite tous les autres. Il les scrute de loin et il se tâte comme un vieux sage se lisserait la moustache avant de se prononcer sur une question épineuse.  La nouvelle Constitution marocaine a un an pile poil, c’est peu dans la vie d’un pays mais c’est beaucoup pour un peuple assoiffé de liberté et de justice sociale. Que s’est-il donc passé ? Eh bien, à force d’observer ce qui se passe chez nos voisins, et qui n’est pour l’instant guère engageant, beaucoup ont ravalé leur colère et arrêté de rêver. Ils ont devant eux deux modèles d’évolution, deux options : avec ou sans “printemps”. Et ils attendent de voir comment les pays concernés vont bien pouvoir s’en sortir…  Ces variations ne sont pas gratuites. Ce n’est pas la Constitution qui a tamponné la colère populaire mais l’évolution incertaine des pays du Printemps arabe. Les doutes et les tourments de nos voisins ont coupé des élans et agi comme des sédatifs, nous renvoyant logiquement à nos fondamentaux. Qui sont restés les mêmes !  Très peu de choses ont bougé. La nature et le fonctionnement du pouvoir n’ont pas été affectés par l’arrivée des islamistes au gouvernement. Les indicateurs de développement humain (santé, éducation, justice, revenus individuels, etc.) restent mauvais. La menace d’une crise économique aiguë plane comme une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Et la modernisation avance à pas de tortue alors que la retraditionalisation court à pleins poumons.  Alors, statu quo ? Oui et non. Nous sommes presque suspendus à une phase “hypnotique”, molle à l’extérieur mais bouillonnante de l’intérieur. Les acteurs qui font le Maroc se tiennent à carreau, s’observant les uns les autres et observant les voisins arabes… Il faut se méfier de cet été parce qu’il est indien, d’un calme trompeur.