PJD et culture, ça marche pas

 

Smyet bak ?

Mohamed Essaadani.

 

Smyet mok ?

Khadija Zerouali.

 

Nimirou d’la carte ?

BE 99521.

 

Pourquoi vous intéressez-vous tant aux vieux bâtiments de Casablanca ?

Je suis urbaniste de formation et j’aime la modernité de cette ville. Les repères urbains à Casablanca étaient les cabarets, les bars, les garages et les banques. C’était une ville où l’on venait faire du pognon et s’amuser. Après, en construisant les quartiers périphériques, on a essayé de nous ramener vers les “fondamentaux” comme les mosquées.

 

Pourquoi avoir démissionné de Casamémoire ?

Il y a eu une scission entre les “intégristes du patrimoine” et ceux qui sont pour une action culturelle bâtie autour de ce patrimoine. Des gens au sein de l’association n’ont pas compris ce que l’on voulait faire aux Abattoirs. Le patrimoine n’est pas une fin en soi mais un moyen d’action culturelle dirigé vers un public comme celui du Hay Mohammadi (quartier où se situent les Abattoirs), qui n’a pas accès aux œuvres de l’esprit.

 

Vous avez déclaré que Casablanca était la plus belle ville du monde. C’est exagéré tout de même…

Non, elle l’est vraiment à mes yeux. Casa, ce ne sont pas que des bâtiments, mais aussi des interactions sociales. Je prends mon pied à les observer, c’est jouissif pour moi. Je provoque même des débats, voire des querelles entre les gens, pour créer ces interactions.

 

Vous avez travaillé sur la réhabilitation du centre de détention de Derb Moulay Chrif. Pourquoi vos propositions ont-elles été rejetées par l’ancien Conseil consultatif des droits de l’homme ?

Nous avons proposé d’intégrer l’histoire de Derb Moulay Chrif dans les cursus scolaires des écoles primaires et des collèges de Hay Mohammadi où se trouve cet ancien centre de détention. On nous a dit niet en avançant comme justification que le peuple n’était pas prêt. On nous prône la réconciliation dans le cadre de l’Instance équité et réconciliation (IER, commission créée pour solder le dossier des années de plomb, ndlr), mais certaines personnes ne veulent pas se réconcilier en vérité. Cela équivaudrait pour elles à perdre une partie de leur pouvoir.

 

Vous avez dirigé un club de jazz à Perpignan, où se mélangeaient Arabes et Gitans de la ville. Comment avez-vous fait pour imposer le respect mutuel entre les deux communautés, habituées à se quereller ?

J’avais les moyens de ma politique, étant un peu sauvage (sourire). Il m’est arrivé de mettre dehors des architectes ou des médecins qui étaient irrespectueux et se la jouaient. Là, j’ai gagné le respect des autres car je traitais tout le monde sur un même pied d’égalité. J’ai aussi éjecté des Gitans ou des Arabes, sans que les autres interviennent. Car c’était Aadel qui parlait à un individu et non pas un patron de club de jazz s’adressant à une communauté.

 

En même temps, vu votre gabarit et votre ceinture noire de karaté, on devait vous écouter attentivement…

J’en joue, c’est vrai. J’en ai tabassé quelques-uns au début. C’est comme en prison, il faut se faire respecter le premier jour pour ne pas se faire manger par les autres. Mais je n’étais pas dans la violence quotidienne, on est vite devenus potes. On a fini par organiser des rencontres artistiques, entre Gitans et Arabes, autour du flamenco, de la derbouka, etc.

 

Pourquoi avoir appelé l’endroit Ubu ? C’était une référence à Ubu roi d’Alfred Jarry ?

J’ai une fascination pour tout ce qui est royauté (rires). Mon chien belge s’appelle Roy (rires).

 

D’où vous vient votre amour du jazz ?

Mon père m’y a initié, il m’emmenait au Seaman’s, qui a été longtemps un club de jazz. Je me souviens que gamin, j’ai renversé mon lait à la fraise sur le pianiste.

 

On a le sentiment que vous avez ouvert votre propre club “Jazz sous le rocher” juste pour écouter de la bonne musique et boire un coup entre amis ?

Oui, bien sûr. C’était pour me faire plaisir, j’ai besoin du live. C’est d’abord un acte égoïste et ensuite un acte de partage. On fermait les portes du club pour respecter l’horaire légal, mais on continuait à faire la fête entre nous à l’intérieur. 

 

Il paraît que vous y avez perdu beaucoup d’argent…

Il fallait payer les billets d’avion des groupes, l’hôtel, etc. C’était quasiment un service public dans une ville comme Casablanca où il n’y a rien. Je ne voulais pas d’un club élitiste ouvert aux seuls riches, mais offrir un lieu de rencontres pour les amateurs de jazz et les jeunes qui souhaitaient découvrir cette musique. Avec un tel principe, forcément tu perds de l’argent.

 

Ce ne sont pas les tapas qui ont dû vous ruiner. C’était de la loubia (haricots blancs) et du 3dess (lentilles)…

Au Maroc, on a encore honte de ce type de plats. Moi j’adore ! L’93aoui (sexe de mouton) par exemple, c’est unique (rires). Je vais aussi manger lquer3ine (pieds de mouton) au petit matin chez  Zemmouria dans la médina. C’est l’occasion pour moi d’observer les gens dans l’espace public, c’est jouissif. 

 

Vous reprochez quoi à Mawazine ?

C’est le symbole d’une politique du divertissement qui remplace une véritable politique culturelle. Ce n’est même pas un festival. Un festival est un lieu de rencontre et de création où l’on programme de nouveaux artistes et des nouveautés. Là, c’est du déjà vu pour la partie arabophone, et des vieux sur le retour pour la partie occidentale. Je ne vois même pas quelle est la thématique de Mawazine. La gériatrie musicale ? (rires) 

 

Qu’est-ce qui vous a déçu dans le Mouvement du 20 février ?

L’absence de leaders, même si on nous a expliqué que c’était le principe du mouvement. On a fait le choix de l’horizontalité, sauf que cette horizontalité a tiré le mouvement vers le bas et l’a empêché de dépasser le cadre de la protestation. De plus, nos intellectuels n’ont pas fait leur travail, ils n’ont injecté aucune idée. Des intellectuels qui ne font pas se poser des questions à la société ne servent à rien. J’ai, à vrai dire, une piètre estime d’eux à cause de cela.

 

Un dernier mot à propos du PJD et de leur conception de la culture propre?

Je ne pense pas qu’il ait la capacité d’interdire de créer, je crains plutôt pour la liberté de diffusion des œuvres. Pour moi, PJD et culture est un oxymore. ça ne marche pas ensemble. Surtout que ce parti émet des opinions sans fondement. A propos d’eux, je reprendrais la formule de Michel Audiard : “Je ne parle pas aux cons, ça les instruit.”

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