Alcootest

Par Karim Boukhari

En réactivant un projet de loi interdisant la publicité pour l’alcool, les islamistes au gouvernement déroulent encore une fois sur du velours. Ils sont dans leur rôle et ils le font très bien. Comme pour la publicité contre les jeux de hasard, ils s’appuient sur un référentiel religieux qui trouve son prolongement dans la nouvelle Constitution. En gros, l’islamité supposée de la société marocaine ne peut guère s’accommoder de l’alcool. Voyons, les textes de loi et les édits religieux qui organisent ce pays sont clairs : l’alcool est haram et sa consommation est punie par la loi, point à la ligne. Oui, mais comme nous sommes dans un pays qui produit et consomme de l’alcool depuis trop longtemps, que faire ? La parade est simple. On surtaxe les producteurs : c’est un moyen de réduire le volume de leurs activités ou, à défaut, de les pousser à faire monter en flèche les prix à la consommation. Au final, cela revient à sanctionner les consommateurs dans le but de les dissuader. Au passage, la surtaxe nourrit les caisses de l’Etat… D’un autre côté, on retire toute “réclame” de manière à protéger le jeune public contre les démons de la tentation. En rendant l’alcool invisible, on satisfait la mère de famille modèle et l’imam qui sommeille en nous, sans rien toucher au business. Le deal est parfait puisqu’il épouse parfaitement les contours de l’hypocrisie marocaine, ou comment être tout et son contraire à la fois, dirigistes et libéraux, puritains et libertins, démagogues et affairistes. En plus de cadrer avec les préceptes de l’islam et les textes de loi, cette philosophie est sertie d’un emballage 100% moral : ce que nous coûte l’alcool (des accidents de la route, des crimes, maladies, divorces, échecs socioprofessionnels, etc.). Moins d’alcool, c’est moins de dégâts et moins de factures à payer pour la société mais aussi pour l’Etat. La famille sera plus unie et les caisses de l’Etat seront moins sollicitées.

Maintenant, et tant qu’à faire, qu’est-ce qui empêche les islamistes d’exiger la suppression pure et simple de la production-consommation d’alcool pour atteindre une sorte de bonheur parfait ? 1 : le fait que c’est une réalité trop vieille pour être effacée d’un coup de baguette magique. 2 : le fait, surtout, qu’un texte de loi stupide stipule “l’interdiction de servir l’alcool aux musulmans”. Sous-entendu : les non-musulmans ne sont pas concernés. On pourrait croire que cette loi laisse entendre que la société marocaine est plurielle et qu’elle n’est pas faite que de musulmans pratiquants et orthodoxes, mais aussi de musulmans “passifs”, juifs, chrétiens, bouddhistes, athées, agnostiques, etc. Ce n’est pas le cas. La loi, et c’est en cela qu’elle est stupide, réduit la consommation d’alcool au “tourisme”. Elle nous dit que seul le touriste peut “boire”, et que ce touriste n’est pas musulman. Ainsi, un Européen blond aux yeux verts, qui ne parle pas un seul mot d’arabe, ne peut être musulman. L’islam devient, alors, une histoire de faciès, de race, de traits du visage, de langage parlé… Cette loi idiote donne d’ailleurs lieu, quotidiennement, à des scènes ahurissantes. Vous les connaissez et vous en avez peut-être vécu quelques-unes. “Etes-vous musulman ?”. Non. “Pourtant vous parlez arabe”. Oui. “Et vous avez la tête d’un Arabe…”. Et alors ?

En réaction au projet islamiste, des professionnels ont opposé leur veto en faisant appel, dans les grandes lignes, aux arguments suivants. 1 : l’industrie de l’alcool emploie près de 100 000 Marocains. 2 : le tourisme se nourrit d’alcool. 3 : la prohibition va doper la contrebande et la contrefaçon. Même s’ils sont valables, ces arguments adoptent à leur tour la pudibonderie islamiste : ils donnent l’impression que l’alcool, au Maroc, est une simple affaire de tourisme et d’industrie. Si on s’amuse à les prendre au mot, on croirait que le royaume chérifien produit de l’alcool pour consommateurs étrangers estampillés “non musulmans”, que les touristes en question se rendent au Maroc pour boire de l’alcool, et que la production d’alcool est un moyen de lutter contre le chômage.

Ceux qui ont engagé la bataille de l’alcool ont donc un point commun avec ceux qui leur résistent : ils essaient de nous faire croire que les Marocains ne consomment pas d’alcool. Aux uns et aux autres, merci d’être hypocrites.