Tunisie. United colors of modernists

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Depuis quelques mois, suite à l’arrivée d’Ennahda au pouvoir, des partis tentent de s’unir pour recomposer le paysage politique et contrer les islamistes en œuvrant pour un pays moderniste. TelQuel est allé à la rencontre de deux de ces formations politiques.

Le tout nouveau Hezb Al Joumhouri a récemment choisi de rassembler ses troupes à Bizerte, autrefois port cosmopolite, devenu aujourd’hui fief des conservateurs, avec une prédominance d’islamistes et de salafistes. Tout un symbole pour cette formation politique de centre-droit qui souhaite œuvrer pour une Tunisie moderne et plurielle. Né de la fusion du Parti démocrate progressiste (PDP), d’Afek Tounès, de l’ex-Parti républicain, de quatre autres petits partis auxquels s’ajoutent neuf anciens ministres du gouvernement intérimaire de Béji Caïd Essebsi ainsi qu’une quinzaine de listes d’indépendants candidats aux élections de la Constituante, Al Hezb Al Joumhouri est un véritable patchwork. Lors de cette réunion dans un hôtel de Bizerte, Yassine Brahim, fondateur d’Afek Tounès, présente la stratégie de ce nouveau parti, dont il est le directeur exécutif. A l’instar de ce qu’il préconise pour la Tunisie, ce nouveau parti républicain sera décentralisé et comprendra 27 fédérations régionales financièrement autonomes. Chacune d’entre elles aura, entre autres, pour mission de réaliser une étude sociologique afin de préparer au mieux la campagne pour les prochaines législatives, prévues entre mars et juin 2013. Et, visiblement, son programme semble plaire à l’auditoire.

Des républicains pleins d’espoir

“Avant la création d’Al Hezb Al Joumhouri, j’étais pessimiste, mais à présent, ça va beaucoup mieux”, affirme Elyes, jeune étudiant en droit de 22 ans, attristé par l’incohérence de ses camarades de fac, qui “couchent avec leurs copines, boivent de l’alcool, mais ont quand même voté pour Ennahda.” Il est si enthousiaste qu’il essaye même de convaincre ceux qui l’entourent de devenir “joumhouri” (républicain). Par exemple, à la sortie de la réunion, il s’efforcera durant plusieurs heures de convertir un de ses amis, Habib, militant déçu d’Ettakatol, le parti de Mustapha Ben Jaafar, le président de l’Assemblée constituante.

Cependant, à Bizerte, le Parti républicain démarre avec un lourd handicap puisque Mehdi Ben Gharbia, baron du PDP dans la région, a rompu avec son parti et créé de son côté un Mouvement réformateur, qui compte près de 200 militants ainsi que 8 élus de la Constituante. Maya Jribi, la secrétaire générale d’Al Hezb Al Joumhouri, met cette dissidence sur le compte du malaise et de la déception nés de l’échec des élections du 23 octobre 2011. Néanmoins, malgré cette séparation, elle considère que le congrès du 9 avril (au cours duquel est né Al Hezb Al Joumhouri) a été bénéfique et portera ses fruits à terme. “A présent, il s’agit pour ce grand parti de devenir un appareil efficace et efficient”, explique Maya Jribi. Avant d’ajouter : “Cela passera par une présence au quotidien sur le terrain et, surtout, grâce à une communication ciblée capitalisant sur les avantages du modernisme et du développement de la société tunisienne, qui a entamé ce processus il y a près de deux siècles.” Et pour ce petit bout de femme énergique, fidèle parmi les fidèles d’Ahmed Néjib Chebbi (fondateur du PDP), rien n’est impossible avec de la volonté et du travail.

Une bataille sociale

De son côté, Sfax, deuxième ville de Tunisie, n’a pas échappé à la vague islamiste. Située face à l’archipel des îles Kerkennah, vivier du syndicalisme depuis Farhat Hached —leader nationaliste et fondateur de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT)—, cette cité industrielle et besogneuse fait office de bastion de la gauche. L’affluence y était grande en ce dimanche de la fin du mois de mai au siège du Pôle démocrate et moderniste (PDM), où l’ordre du jour portait sur la création de la coordination régionale d’Al Massar, voie démocrate et sociale de centre-gauche qui rassemble les communistes rénovés d’Ettajdid, le PDM et le Parti des travailleurs issu de l’UGTT. Samir Taïeb, porte-parole d’Al Massar, préside la réunion. “Il est temps de se mettre au travail avec les forces démocratiques qui partagent nos idées modernistes”, martèle-t-il. Puis il souligne : “Il ne faut plus suivre Ennahda sur le terrain de la religion. Lors de la discussion de la Loi de Finances 2012, nous avons proposé d’effacer les dettes inférieures à 4000 dinars (21 940 dirhams) des artisans pêcheurs et des petits agriculteurs, mais les constituants nahdaouis ont refusé… C’est donc sur le terrain social que nous devons nous battre et communiquer.” Comme Yassine Brahim d’Al Hezb Al Joumhouri, Samir Taïeb insiste sur l’importance de collaborer avec la société civile, à travers des personnalités comme Ines Ben Hmida, 22 ans, qui vient d’entrer dans la coordination régionale. Etudiante en comptabilité, elle a pris l’initiative d’organiser, le 8 mars, une procession en costume traditionnel des îles Kerkennah pour la journée internationale de la femme. Lors de cette agora, “les gens se sont spontanément joints à la manifestation en posant toutes sortes de questions sur les droits des femmes”, se souvient Ines avec un sourire de satisfaction. Quant à Hajer Krichen, psychologue de 37 ans qui vient aussi d’être cooptée dans cette coordination, elle estime que “les militants de gauche ont une grande phobie du terrain qu’il faut absolument dépasser.”

Face à Ennahda qui veut transformer la société tunisienne, Nadia Chaabane, élue Al Massar de la circonscription France 1, estime qu’ “il est impératif de s’unifier au-delà des divergences afin d’installer l’alternance”. Linguiste brillante, les larmes lui montent aux yeux lorsqu’elle évoque “le populisme réducteur de l’équipe au pouvoir et l’ostracisme à l’égard des Tunisiens de l’étranger.” Pour elle, “la priorité est de pouvoir rédiger une constitution qui garantisse un projet de société ouvert sur le monde, pluriel, démocratique, moderne et participatif”.­ “Depuis le 14 janvier 2011, les Tunisiens jouissent d’une forme de liberté et ils n’ont pas envie de la brader”, conclut cette élue de gauche.

Champ politique fragmenté

Alors, qu’est-ce qui différencie Al Hezb Al Joumhouri d’Al Massar ? En réalité, peu de choses séparent ces deux partis, qui veulent tous deux préserver et renforcer les acquis de la Tunisie moderniste en s’inscrivant dans l’aire méditerranéenne et maghrébine. De plus, tous deux militent pour une justice sociale et un développement équitable entre les régions. Mais sauront-ils se rapprocher tactiquement pour damer le pion aux islamistes lors des prochaines élections législatives de 2013 ? Rien n’est moins sûr… C’est probablement pour cette raison que beaucoup de Tunisiens lorgnent du côté de Béji Caïd Essebsi, le Premier ministre de la transition qui, à 85 ans, rassemble sous l’étiquette de la Moubadara (l’Initiative) des anciens destouriens comme l’ex-ministre des Affaires étrangères, Kamel Morjane, et Mohamed Jegham, l’ancien ministre et directeur du cabinet présidentiel de Ben Ali. Mais ce recours aux hommes de l’ancien régime, qui consacrerait l’échec de la révolution tunisienne, semble par ailleurs peu probable, d’autant que, comme le souligne le politologue Hamadi Redissi, “Ennahda est le parti hégémonique dominant. Il s’installe au pouvoir pour la dizaine d’années à venir, sur un champ politique fragmenté, à moins d’un sursaut réel de la part de l’opposition”. A suivre…

 

Instance électorale. Un choix cornélien

L’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE) a clôturé son mandat le 18 mai au cours d’une cérémonie officielle au palais des congrès. De toute évidence, les nouveaux dirigeants tunisiens ne souhaitent pas la reconduire dans sa forme actuelle, ni reconduire Kamel Jendoubi, personnalité indépendante qui a consacré sa vie à défendre les droits de l’homme. Selon des sources proches de l’Assemblée constituante, l’ISIE pourrait être remplacée par l’INIE (Instance nationale indépendante des élections), puisqu’elle ne compte que 9 membres contre 16 dans l’ISIE. Chacun des cinq groupes parlementaires présentera deux candidats qui seront soumis à un vote en plénière. Le président sera celui qui obtiendra le plus de voix. Autant dire que l’élu sera acquis au parti majoritaire de la Constituante et que l’instance sera plus politisée que la précédente. De plus, le projet gouvernemental ne prévoit aucune instance régionale, contrairement à l’ISIE. En revanche, l’opposition propose de choisir le président par consensus, lequel constituera son équipe et reviendra devant l’Assemblée constituante pour gagner se confiance. Quoi qu’il en soit, ce choix est aussi urgent que cornélien, car il faut au moins huit mois pour bien préparer la prochaine échéance électorale.

 

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