Espagne. Gracias “Indignados”

Un an après son éclosion, le mouvement de protestation des “Indignés” est toujours vivant. La situation socio-économique ne s’est pas arrangée et la morosité perdure, sur fond d’austérité budgétaire. Analyse.

La scène se passe à Madrid, tout près de la station de métro Tetuán, en juin 2011. A la demande d’une banque, des huissiers doivent expulser une famille de son appartement. Frappée par le chômage, elle ne pouvait plus rembourser sa dette. Une expulsion ordinaire, comme l’Espagne en a connues près de 60 000 l’an dernier… Sauf que cette fois-ci, la famille n’a pas pu être délogée : prévenus, plus d’une centaine de militants sont venus s’interposer, empêchant huissiers et policiers d’accomplir leur besogne.

Depuis un an, la Plateforme des affectés par les hypothèques (PAH) est ainsi parvenue à éviter – ou à reporter – plusieurs centaines d’expulsions. Très largement avec l’aide des sympathisants du mouvement des “Indignés”, dont c’est la réussite concrète la plus visible.

Entamée le 15 mai 2011, cette déclinaison occidentale du Printemps arabe est née d’un profond ras-le-bol des banquiers et des politiciens, jugés corrompus et responsables de la rude crise économique et du délitement de l’Etat social. Rendu célèbre par ses campements installés au milieu des places publiques de dizaines de villes d’Espagne, ce mouvement a traversé les frontières, en trouvant un écho notamment au Chili, en Grande-

Bretagne et aux Etats-Unis où, durant des mois, des protestataires ont campé aux environs de la Bourse de Wall Street, symbole des excès d’injustice du capitalisme dérégulé.

Ô rage ! Ô désespoir !

En Espagne pourtant, ce cri de colère, largement exprimé dans la rue, ne s’est pas traduit dans les urnes, largement boudées par les “Indignados”. Bien au contraire : en novembre, les élections législatives ont porté au pouvoir les conservateurs du Parti populaire (PP). Sous la pression des créanciers du pays et de l’Union Européenne, qui exigent une réduction drastique des déficits publics, le gouvernement dirigé par Mariano Rajoy a poursuivi la politique d’austérité de son prédécesseur : réduction des aides publiques, coupes dans les budgets de santé, d’éducation, augmentation du prix du gaz et de l’électricité… “La chimiothérapie peut faire du mal en début de traitement du cancer, a doctement comparé le Premier ministre espagnol, cité par le quotidien Libération. Mais à moyen terme, ça guérit”. Dans le cas présent, le remède tarde à faire son effet : l’Espagne est en récession, et le chômage ne cesse de grimper. Il vient d’atteindre 24,4 % de la population active —1,7 million de foyers ayant tous leurs membres au chômage.

De quoi convaincre les “Indignés” de remettre le couvert à l’occasion de leur premier anniversaire. Histoire de rappeler qu’ils refusent toujours d’être traités comme “des marchandises aux mains des politiciens ou des banquiers”. Et que si leur mouvement a quitté les écrans de télévision, il est toujours vivant, notamment via les nombreuses assemblées citoyennes, qui se réunissent encore dans des dizaines de villes et de quartiers, pour parler politique et penser des alternatives.

Back to black

Après les manifestations répétées à l’appel des syndicats, dont la grève générale massive du 29 mars (qui visait une réforme du marché du travail facilitant les licenciements), les “Indignés” ont pris rendez-vous samedi dernier, le 12 mai. Très courus, leurs rassemblements ont été organisés dans environ 80 villes. A Barcelone, par exemple, la police a compté 45 000 participants —220 000 selon les organisateurs. Mais contrairement à l’an passé, leurs campements sur les places publiques n’avaient, à l’heure où ces lignes sont écrites, que peu de chances de fleurir.

Plus répressif que l’ancien, le nouveau gouvernement n’a aucune intention de laisser faire, d’autant qu’il a récemment annoncé tout un train de mesures liberticides. Selon l’agence Europa Press, la “résistance passive” à la police s’apprête ainsi à devenir un délit d’ “atteinte à l’autorité de l’Etat”. Tandis que le fait de convoquer par Internet des rassemblements “dont la finalité est de troubler gravement l’ordre public” pourrait être considéré comme une “constitution de bande criminelle”. Face à ces nouvelles lois qui leur semblent presque destinées, les “Indignés” n’ont pas fini de l’être.

 

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