Sénateurs. Les enfants terribles de l’hémicycle

En attendant le renouvellement de la deuxième chambre du parlement, d’ici fin 2012, les conseillers en font voir de toutes les couleurs au gouvernement Benkirane. Explications.

Le gouvernement a eu chaud, vraiment chaud lors de la discussion de la Loi de Finances à la deuxième chambre du parlement. Vendredi 11 mai, il a vu sa copie votée, en séance plénière, par 57 voix contre 30 (et 9 abstentions). Auparavant, les ministres de l’équipe Benkirane sont passés par des moments difficiles devant les commissions où ils ont été malmenés par les conseillers, qui se sont même payés le luxe de rejeter 6 budgets sectoriels. “Cette chambre est devenue le lieu par excellence d’un débat plus politique que technique”, explique un sénateur de l’opposition. Exemple : un amendement concernant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été adopté en commission, avant de “sauter” en plénière. “Cela a été fait de manière non réglementaire, fulmine un conseiller de l’opposition, avant d’ajouter : “L’amendement des élus des partis gouvernementaux a été présenté en séance plénière alors que le règlement intérieur stipule que tout amendement passe obligatoirement en commission”. Aux dernières nouvelles, les groupes de l’opposition (RNI-UC, PAM et USFP) envisageraient même de recourir au Conseil constitutionnel pour faire invalider la séance du 11 mai.

Débats houleux

Après la Loi de Finances, “séquestrée” à la deuxième chambre pendant un mois — du 12 avril au 11 mai—, c’est au tour de la loi organique relative aux nominations dans les établissements publics d’être discutée. Le gouvernement Benkirane doit, là encore, s’attendre à des débats houleux. “L’Exécutif a déjà essayé de faire pression sur certains groupes parlementaires pour faire adopter la même mouture que la première chambre”, nous confie un élu de l’opposition. La raison ? C’est encore et toujours le même dilemme du gouvernement, qui se trouve minoritaire au sein de cette chambre : le PAM, l’alliance RNI-UC, l’USFP et la FDT représentent plus de la moitié des sénateurs, à savoir 155 des 270 membres. “Ce qui arrive dans cette chambre est une perte de temps, car dans la nouvelle Constitution, le dernier mot pour le vote des textes de loi revient à la chambre des députés”, commente une source gouvernementale. Notre interlocuteur va encore plus loin et remet en cause la constitutionnalité même de la deuxième chambre. Explication : renouvelée en octobre 2010 (soit bien avant l’adoption de la nouvelle loi fondamentale) aucune disposition claire ne lui confère de compétences transitoires en attendant son entière refonte, qui doit avoir lieu avant fin 2012, comme l’a annoncé Mohammed VI dans un de ses discours.

La solution de cette problématique passera forcément par les urnes. Mais tous les indicateurs semblent indiquer qu’il sera presque impossible de respecter les délais et d’aboutir à un nouveau sénat pour l’ouverture de la prochaine année législative, soit avant octobre 2012. “Il y a visiblement une sorte de compromis tacite entre tous les partis politiques pour allonger au maximum la durée de vie de cette chambre”, explique un élu de la majorité. De plus, pour renouveler cette chambre, le gouvernement doit produire tout un arsenal législatif : en plus de la loi organique sur la régionalisation, il faudra une bonne vingtaine de textes de loi et de décrets d’application. “Tout le monde devra, par exemple, se mettre d’accord sur une question aussi sensible que le découpage électoral”, indique une source parlementaire. Et les choses se compliqueront davantage si le gouvernement entame une nouvelle révision des listes électorales. Tout est-il perdu pour autant ? “Absolument pas ! Le ministère de l’Intérieur pourra toujours donner un coup d’accélérateur et obtenir un consensus général”, souligne notre source. En attendant, certains de nos sénateurs ont l’air de « savourer » cette situation, qui semble particulièrement arranger les affaires de ceux qui ont fait leur entrée à la chambre lors du renouvellement partiel d’octobre 2010 —soit un bon tiers. Ne sont-ils pas allés, il y a quelques mois, jusqu’à soumettre une doléance au cabinet royal pour pouvoir aller au bout de leur mandat en 2018 ?

Un cadeau pour le patronat 

Dans la nouvelle configuration de la deuxième chambre, les rapports de force seront nettement différents. Une autre catégorie d’élus se frotte les mains : le patronat. Car, en plus des 20 sièges (sur un total de 120) réservés aux chambres professionnelles, la loi organique du sénat octroie 8 sièges aux organisations professionnelles les plus représentatives. “En d’autres termes, c’est un cadeau pour la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), qui va probablement rafler la mise”, commente un élu de la Fédération démocratique du travail. Les centrales syndicales, elles, seront présentes avec 20 sièges. “C’est inacceptable de laisser 35 syndicats se battre pour 20 sièges au niveau national alors qu’on déroule le tapis rouge au patronat”, affirme un autre syndicaliste. Mais les syndicats ne sont pas les seuls dont la représentativité a été réduite (ils passent de 27 à 20 sièges). Les chambres professionnelles ne seront présentes que via 28 élus au lieu de 81. Et les grands perdants sont définitivement les collectivités locales (régions, préfectures, communes…), dont le nombre d’élus passe de 162 à 72. Dans cette deuxième chambre “new look”, les membres seront élus pour une durée de six ans (au lieu de neuf), sans que le moindre renouvellement intervienne durant ce mandat. Mais encore faut-il qu’elle voie le jour…

 

Scrutin. Mode d’emploi

L’élection des 120 membres de la nouvelle chambre des conseillers se déroulera au scrutin de liste, mais aussi au scrutin uninominal selon le nombre de sièges en jeu (entre 1 et 5). Chaque liste, ou candidat, doit remporter un minimum de 3% des voix. Selon les dispositions de la loi organique du sénat, les listes doivent comprendre une succession de candidats de sexes différents. Comprenez un homme suivi d’une femme ou l’inverse. Toutefois, rien de spécial n’a été prévu pour encourager l’élection des jeunes à moins de retenir le fait que, dans le cas d’égalité des voix entre mandataires des listes, c’est le plus jeune qui l’emporte. L’autre nouveauté, c’est qu’il n’y aura plus de carte d’électeur puisque la carte d’identité suffira désormais, à condition d’être déjà inscrit sur les listes électorales. Du reste, la loi prévoit de lourdes peines ainsi que de grosses amendes pour les personnes coupables de fraude électorale. Et ces peines seront encore plus importantes si le coupable fait partie de l’administration. 

 

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