France. Un président “normal”

Avec 51,63% des voix, François Hollande a été élu le 6 mai à la tête de la république française. Le soir de cette victoire attendue par la gauche depuis 1981, TelQuel était sur place. Reportage.

Enfin. Ce mot était sur toutes les lèvres des militants et sympathisants socialistes venus le 6 mai assister à la soirée présidentielle, rue de Solférino, au quartier général du Parti socialiste. Ils ont dû patienter plus de trente ans avant de voir un deuxième homme de gauche accéder à la tête de la république. Depuis plusieurs mois, les sondages donnaient François Hollande gagnant, et dès 18h, la victoire du candidat socialiste était annoncée par des sites d’information belges. Mais il a fallu attendre 20h, heure officielle des résultats, pour assister aux scènes de liesse un peu partout dans la capitale. “Je suis arrivée au QG du PS, deux heures avant l’annonce des résultats. Malgré mon avance, impossible d’être proche de l’écran installé rue de Solférino tellement il y avait de monde”, témoigne Imane Djebbar, 28 ans, podologue. Comme des milliers d’autres personnes présentes ce soir-là, elle ne peut contenir son émotion : “J’en pleure car je me sentais oppressée par le gouvernement en place”.

La fête s’est poursuivie place de la Bastille, où le président élu est venu faire un bref discours après minuit. Dans la foule, beaucoup de visages de la France multiculturelle, et à côté des drapeaux français, certains ont brandi les drapeaux marocains, algériens, camerounais, irlandais, etc. Si pour les uns c’est un signe de liberté d’expression, pour d’autres la présence de ces drapeaux est révélatrice des dangers qui guettent la France. “A la Bastille, on voyait plus de drapeaux nord-africains et africains que français, alors que c’est quand même l’élection du président de la France. Le vainqueur de ce vote est le Front national,car il a prouvé que la droite ne peut plus faire sans lui”, estime Emmanuel Benchetrit, chef d’entreprise et soutien de Nicolas Sarkozy.

Liberté, égalité…

L’élection de François Hollande a sans doute confirmé ce que les sondages annonçaient déjà : la principale préoccupation des Français n’est pas l’immigration mais bien l’emploi et le pouvoir d’achat. Durant la campagne, lorsque Nicolas Sarkozy s’opposait au vote des étrangers aux élections municipales, François Hollande le défendait. Quand le premier s’aventurait sur le terrain glissant de la viande halal, le second ne souhaitait pas s’y embarquer. On aurait pu penser, vu le score élevé du Front national au premier tour de l’élection (17,9%), que les Français pouvaient être sensibles aux discours populistes qui stigmatisent les étrangers, comme ce fut le cas aux Pays-Bas par exemple. Il n’en est rien. Les Français ont, encore une fois, su étonner. “Nicolas Sarkozy est l’incarnation de la division entre les Français et de la stigmatisation d’une partie de la population d’origine étrangère. J’ai soutenu François Hollande car il représente les vraies valeurs de la république : la démocratie, la justice, la liberté, l’égalité… C’est un homme qui rassemble la France dans sa diversité”, nous explique Mohamed Hannine, d’origine marocaine et conseiller municipal à Choisy-le-Roi.

Même son de cloche dans la presse hexagonale engagée auprès du candidat socialiste. Le directeur de la publication du quotidien de gauche Libération, s’est fendu d’un édito au lendemain du second tour où il estime que “dans une France abîmée, qui aurait pu faire le choix de se barricader derrière des frontières fantasmatiques en ressassant son passé, la victoire de François Hollande démontre que le pays aura préféré l’espoir”. L’élection de Hollande est aussi une bonne nouvelle pour les étudiants étrangers —qui comptent de nombreux Marocains— en France. Le candidat socialiste s’était engagé durant sa campagne à annuler la circulaire Guéant, qui limite drastiquement l’autorisation accordée aux étudiants étrangers d’acquérir une première expérience professionnelle en France. “La circulaire, c’est fini. Mais restons vigilants, elle doit être abrogée”, écrit Hassan Hooba sur le groupe Facebook du Collectif du 31 mai, qui se mobilise contre la mesure du ministre de l’Intérieur Claude Guéant.

Tenir ses promesses

Si Nicolas Sarkozy faisait peur à une partie de la France, François Hollande inquiète, pour des raisons différentes. “Il n’a pas d’expérience et fait des promesses économiques hallucinantes. Sa victoire est celle de l’assistanat”, fustige Emmanuel Benchetrit. Le programme économique du président socialiste inquiète la droite, dans un contexte où la dette française atteint des sommets et où il convient de limiter considérablement les dépenses de l’Etat. Lorsque François Hollande annonce la création de 60 000 postes de fonctionnaires, la droite crie à la gabegie et le centre est sceptique. “Je pense que son programme économique est inadapté à la situation du pays et à la crise qui vient”, a déclaré François Bayrou, président du Modem.

Les médias ont aussi rapporté l’inquiétude de la chancelière allemande Angela Merkel, qui avec son binôme Nicolas Sarkozy avait dicté la politique économique de l’Europe ces dernières années. Inquiétudes fondées ou fantasmes, seul l’avenir le dira. Une chose est sûre : dès les premiers jours de son mandat, le nouveau président devra faire rapidement ses preuves. Il a promis, entre autres, de bloquer les prix des carburants pendant trois mois et de doubler le plafond du livret A. Le 15 mai prochain, le nom du Premier ministre du président “normal”, comme il plaît à François Hollande de se qualifier, sera connu et le “changement” devra commencer.

 

Médias. Hollande l’Algérien ?

On dit le nouveau président plus proche de l’Algérie que du Maroc. François Hollande n’a jamais exprimé une préférence pour l’un ou l’autre des pays, mais la presse algérienne l’assure : le socialiste aime profondément leur patrie. Extraits.

“L’Algérie est un pays qui m’est proche. J’y compte beaucoup d’amis. Ma visite est d’abord fondée sur l’amitié, mais c’est aussi un témoignage de fidélité, une préparation de l’avenir. Ce voyage est l’occasion de dessiner les perspectives d’avenir dans lesquelles la coopération entre nos deux nations peut être utile à nos deux peuples. Au-delà de la conjoncture politique, je m’intéresse à l’amélioration durable de la relation entre la France et l’Algérie.”                             

François Hollande, le 6 décembre 2010, dans El Watan.

“Il s’agit pour nous de faire en sorte que l’Europe engage une coopération renforcée avec l’ensemble du Maghreb, et en particulier avec l’Algérie, sur les domaines-clés du développement, les infrastructures, la question énergétique et l’éducation. Dans ce monde qui se globalise, l’Europe et l’ensemble des pays de la Méditerranée doivent se construire une communauté d’intérêt commune. C’est en tout cas le sens que nous entendons donner à notre politique envers l’ensemble du Maghreb. Dans ce cadre européen, il va de soi que des relations privilégiées doivent être développées entre la France et l’Algérie, tant nos deux pays ont des intérêts communs”

François Hollande, le 8 juillet 2006, dans El Watan. 

 

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