Caisses de retraite, une faillite annoncée ...

Les caisses de retraite, au bord de l’asphyxie financière, sont de véritables bombes à retardement. Le point sur une réforme à laquelle le gouvernement Benkirane ne pourra pas échapper.

Nous sommes le 15 août 2020. Soufiane, 65 ans, fonctionnaire fraîchement retraité du ministère des Finances, fait ses courses tranquillement lorsqu’il reçoit un sms de sa banque : “Vous avez un impayé d’un montant de 2500 dirhams, le solde de votre compte étant insuffisant pour honorer l’échéance de votre prêt immobilier. Vous disposez d’un délai de 48 heures pour régulariser votre situation”. Soufiane est abasourdi par la teneur du message. Le paiement de sa pension de retraité ayant lieu généralement le 1er du mois, il ne voit pas ce qui a pu déclencher un tel incident. Ce n’est que quelques heures plus tard, lorsque l’annonce de la faillite de la caisse de retraite à laquelle il est affilié depuis 40 ans est diffusée en boucle sur tous les médias, qu’il comprend. 

Aussi catastrophique soit-il, ce scénario imaginaire a des points communs avec la situation réelle que traverse aujourd’hui la Caisse marocaine des retraites (CMR). Cette structure, qui chapeaute le régime de base de la fonction publique, va bientôt devoir faire face à son premier déficit, prévu fin 2012. En effet, les cotisations collectées auprès des adhérents actifs ne suffisent plus à financer les pensions des fonctionnaires partis à la retraite. Un haut responsable de la CMR nous le confirme : “Pour combler ce déficit, dans un premier temps, la Caisse fera appel aux produits financiers issus du placement des réserves. Fin 2013, elle sera obligée de puiser dans les réserves pour honorer ses engagements”. Cette situation était certes prévisible, mais aucun gouvernement n’a osé jusque-là affronter les syndicats et les patrons pour imposer une véritable réforme de fond. Le gouvernement de Driss Jettou, lui, s’est contenté d’apurer les arriérés hérités du passé au titre de la part patronale à la charge de l’Etat, pour un montant d’environ 11 milliards de dirhams…

Un avenir inquiétant

Deux principaux facteurs expliquent l’incertitude qui plane sur l’avenir des retraites au Maroc. D’une part, la générosité des caisses publiques. Il suffit de compter le nombre de fonctionnaires bénéficiant d’une pension équivalente au montant du salaire reçu en fin de carrière. D’autre part, le vieillissement de la société marocaine : les pensions étaient faciles à financer quand les actifs étaient 7 fois plus nombreux que les retraités. Aujourd’hui, ce rapport est de l’ordre de 3. Le financement devient ainsi un casse-tête pour les décideurs.

Une chose est sûre, si rien n’est fait, aucune caisse n’échappera à la crise. Elles ont beau promettre l’équilibre à un horizon lointain —2021 pour le RCAR et 2026 pour la CNSS—, au moindre changement (amélioration de l’espérance de vie, dégradation du ratio démographique actifs/retraités, etc.), leurs projections seront caduques. D’ailleurs, pour le moment, les caisses ne font que colmater les brèches, en réajustant à chaque fois l’un des trois leviers classiques (relever les cotisations, baisser les pensions ou reculer l’âge de départ en retraite). Par exemple, “la CNSS est gérée selon le principe de la prime échelonnée, qui prévoit des révisions du taux de cotisation si les ressources du régime ne suffisent plus à couvrir ses engagements. Il suffit d’augmenter le taux actuel de deux points pour repousser l’horizon d’équilibre à 2060 au lieu de 2037”, souligne Omar Souabni, directeur de la stratégie à la CNSS.

Propositions en suspens

Le cabinet français Actuaria, auquel le gouvernement El Fassi avait confié la mission d’étudier les pistes d’une “grande réforme”, a proposé dans un premier temps cinq scénarios exploratoires, avant de soumettre à la commission technique en charge du dossier un scénario-cible, connu sous le nom de l’“alternative variante”. L’idée consiste à créer un régime de base unifié (RBU), dont la gestion serait confiée à la CNSS, au profit des salariés du secteur public et privé, et aux travailleurs indépendants. Autre nouveauté de taille, Actuaria suggère la mise en place d’un régime de base à “cotisations définies”, en remplacement du régime “à prestations définies”. Autrement dit, au lieu de promettre un certain niveau de pension (proportionnel au dernier salaire par exemple), l’engagement se ferait uniquement sur le niveau de prélèvement.

Mais la CNSS s’est farouchement opposée à cette transition. La commission technique a dû finalement solliciter l’avis du Bureau international du travail (BIT), qui a donné sa réponse au mois de mars dernier. “Nos remarques ont été confortées par le BIT. Les régimes à cotisations définies transfèrent tout le risque sur l’assuré. Ce sont des régimes facilement pilotables mais les leviers utilisés pour assurer ce pilotage sont moins visibles pour l’assuré”, estime Omar Souabni. “Au contraire, poursuit-il, un régime à prestations définies permet au travailleur d’avoir plus de visibilité sur le montant qu’il percevra une fois arrivé à la retraite, ce qui lui permet d’apprécier le niveau de consommation transférée vers ses années de retraite”.

Un autre point d’achoppement majeur porte sur le sort des dettes implicites (environ 400 milliards de dirhams), notamment celles qui correspondent aux engagements non couverts par les caisses du secteur public. Le cabinet Actuaria avait proposé de financer une bonne partie de ce passif à travers le RBU. Pour les syndicats, cette solution pose un problème d’équité dans la mesure où elle fait supporter aux entreprises et aux salariés du secteur privé la charge d’une dette publique qui, normalement, devrait être assumée par l’ensemble des citoyens. Sur ce point, le BIT propose une autre issue : “Au-delà de ce que les nouveaux régimes obligatoires peuvent légitimement supporter au moyen des cotisations futures, la dette accumulée par les régimes du secteur public devrait être financée par des fonds publics à l’aide d’un mécanisme transparent et prédéterminé”. De quoi donner à réfléchir au gouvernement Benkirane, appelé à trancher ce débat qui traîne depuis huit ans.

 

CNSS-CIMR. Désaccords à la pelle

D’après le scénario-cible proposé par le cabinet Actuaria, la retraite complémentaire deviendrait obligatoire pour l’ensemble des employés du secteur privé. C’est une bonne nouvelle pour la CIMR, qui gère jusqu’à ce jour un régime de retraite complémentaire mais uniquement à titre facultatif. Mieux encore, la cotisation devrait se faire au premier dirham, ce qui signifie que la première tranche de salaire, plafonnée au double du SMIG, serait scindée en deux parties, l’une revenant au régime de base et l’autre au régime complémentaire. La CNSS n’apprécie pas cette mesure qui risque, à en croire son management, d’avoir des effets macroéconomiques pervers. “L’augmentation de la charge sociale pourrait atteindre 90%, chose qui pourrait se traduire par un phénomène d’évasion sociale”, met en garde le directeur de la stratégie à la CNSS. Le PDG de la CIMR, Khalid Cheddadi, affirme que de tels arguments sont “dogmatiques” et qu’en aucun cas, il ne s’agit d’une question d’économie d’entreprise. “La cotisation existe déjà, on ne va pas la faire disparaître. Réfléchissons en termes de modèle social. 70% des salariés du privé, une fois arrivés à la retraite, vont disposer au mieux d’une pension de 4200 dirhams”, constate le patron de la CIMR, qui reste toutefois favorable à une transition en douceur, étalée dans le temps en fonction de la capacité de l’économie marocaine à pouvoir supporter une retraite complémentaire obligatoire.

 

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer