Débat. Mon œuvre, ma propriété

Depuis quelques mois, les artistes se sont fortement mobilisés pour trouver une solution au problème des droits d’auteur. Leurs efforts vont-ils enfin payer ?

“Nous sommes prêts à écouter les revendications des artistes, à être plus présents et à travailler en collaboration avec eux. Nous voulons régler une fois pour toute les problèmes qu’ils rencontrent.”  Ce discours très optimiste est celui de Abdellah Ouadghiri, le directeur du Bureau marocain des droits d’auteur (BMDA). Cet organisme, chargé de la gestion des droits d’auteur et des droits voisins des artistes musiciens, toutes disciplines confondues, est pourtant depuis plusieurs années la cible de critiques virulentes. Son manque de transparence et son mode de fonctionnement archaïque ont surtout été mis à nu en 2006, au lendemain de la libéralisation des ondes. Depuis, les artistes montent régulièrement au créneau pour dénoncer les difficultés qu’ils ont à s’inscrire et à déposer leurs œuvres.

Ils veulent également comprendre sur quels critères se base le BMDA pour fixer les sommes payées par les diffuseurs, mais aussi comment il effectue la redistribution de ces fonds aux artistes. Surtout qu’ils sont nombreux à affirmer qu’ils n’ont pas perçu le moindre dirham pour leurs passages à la télévision ou à la radio de la part de ce bureau. C’est le cas de Oum, inscrite depuis plusieurs années, qui n’a jamais touché un kopeck. “Depuis 2006, mes morceaux sont passés plus de 5 000 fois sur Hit Radio, par exemple. Et je n’ai pas reçu un seul centime du BMDA, alors que plusieurs radios lui reversent un pourcentage de leur chiffre d’affaires annuel”, confie la chanteuse.

Du changement dans l’air

Abdellah Ouadghiri, longtemps critiqué pour avoir refusé de communiquer, ou de discuter avec les artistes de la nouvelle scène, semble désormais ouvert au dialogue. Le déclic ? Une pétition en ligne, lancée en janvier dernier par l’association Racines pour la culture, le développement, la promotion de l’industrie créative, afin de demander un audit du BMDA. Un sujet sensible, puisque jusqu’à présent l’organisme n’a jamais révélé son budget, ni le montant qu’il reçoit chaque année des radios et télévisions, qu’elles soient publiques ou privées. “Chaque année, il y a plusieurs millions de dirhams qui entrent dans les caisses de ce bureau, mais presque aucun centime n’en ressort, ce n’est pas une situation normale. Et s’ils ont des problèmes à récupérer l’argent des radios et télévisions, qu’ils nous le prouvent”, explique Aadel Essaadani, président de Racines.

Très vite, plusieurs artistes se sont mobilisés pour signer la pétition, faire du bruit et demander eux aussi “un bilan précis et détaillé des actions menées ces dix dernières années par l’organisme, ainsi que des résultats obtenus”. Parmi eux, Badr Belhachemi (ancien membre de Darga), Oum, H-Kayne ou encore Barry. Aujourd’hui, plus de 600 personnes, en majorité des musiciens et des acteurs culturels marocains, ont signé ce document. Quelques semaines après la mise en ligne de la pétition, Abdellah Ouadghiri entamait une série de rencontres avec les membres de l’association Racines ainsi qu’avec plusieurs artistes. “Honnêtement, nos propositions ont été très bien accueillies par la direction. Nous sommes ressortis avec plusieurs promesses très encourageantes”, affirme Issam Kamal, chanteur du groupe Mazagan, très impliqué dans les discussions.

Les promesses de Ouadghiri

Pour témoigner de sa bonne foi, Abdellah Ouadghiri s’est engagé à améliorer les services de son bureau. Tout d’abord en publiant sur son site Web, courant avril, les modalités d’inscription, les formulaires pour la procédure de déclaration, le bilan financier du bureau ou encore la liste des membres du conseil d’administration actuel. Parmi les engagements : organiser des journées de sensibilisation pour les artistes, et mettre en place durant chaque festival et chaque moussem des stands pour répondre aux questions sur les droits d’auteur. Autre promesse de l’organisme, intégrer des artistes de la nouvelle scène dans son conseil d’administration, aujourd’hui composé majoritairement de ceux de l’ancienne génération. Mais pour cela, et pour être conforme à la loi de 2005 qui régit les droits d’auteur au Maroc, ils doivent tout d’abord se constituer en association. “Nous avons déjà rédigé les statuts, nous devons juste rassembler tous les artistes impliqués pour organiser notre première assemblée constitutive”, précise Issam Kamal, qui se charge de chapeauter le projet.

Les artistes sont toutefois conscients que ce ne sont pas les rémunérations du BMDA qui leur permettront de vivre de leur musique. “Ces rémunérations ne nous feront jamais gagner autant d’argent que les cachets des concerts, mais nous nous battons par principe. Nos morceaux passent à la télévision et à la radio, il n’est pas normal que nous ne soyons pas payés pour cela” poursuit Issam Kamal. Les artistes et le BMDA auraient-ils enterré la hache de guerre ? Pour Aadel Essaadani, il ne faut pas se réjouir trop vite : “Le BMDA a clairement fait son mea culpa, mais nous savons qu’il va nous falloir beaucoup de temps pour avoir gain de cause. Il y a beaucoup de dysfonctionnements au sein de cet organisme, et les choses sont bloquées depuis très longtemps”. Même son de cloche chez les artistes, qui savent que tout cela n’est qu’un début. “C’est un travail de longue haleine, mais nous sommes prêts à maintenir la pression”, affirme Issam Kamal. Bon courage !

 

Alternative. Une société privée ?

“L’idéal aurait été de suivre le modèle français, en créant une société privée comme la SACEM pour gérer les droits d’auteur et  des artistes, avec une équipe compétente et moderne sur le volet technique”, affirme sans détours Aadel Essaadani. Mais cette alternative est impossible au Maroc, puisque la loi ne le permet pas. Depuis 1965, le BMDA est sous la tutelle du ministère de la Communication, et son décret de création précise “qu’il est seul chargé de percevoir et de répartir les droits d’auteur sous toutes leurs formes existantes et à venir”. La seule solution est donc de continuer à travailler avec le BMDA, mais en le réformant. “Le ministère de la Communication devrait partager les responsabilités avec le ministère de la Culture, qui est plus à même de gérer ce dossier, sachant qu’il est régulièrement en contact avec la sphère culturelle marocaine”, explique Issam Kamal. Pour cela, il faudrait d’abord que le projet de loi de la réforme du BMDA, annoncé en 2007, voie le jour. Un projet tombé apparemment aux oubliettes depuis l’ère Nabil Benabdallah, et qui ne semble pas être au centre des préoccupations de Mustapha El Khalfi, le nouveau ministre de la Communication…

 

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