Analyse. Le Maroc est en danger...

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…Si les électeurs ne sont pas au rendez-vous… Si la transparence des élections est remise en cause… Si El Himma et son parti font un carton… Si les islamistes prennent le pouvoir… Si les partis appellent au boycott… Si un gouvernement n’est pas rassemblé… Si les caisses de l’Etat sont vides… Si la vie devient encore plus chère… Si le chômage gagne du terrain… Si le printemps arabe souffle encore plus fort… Si la rue se radicalise… Si le régime dérape…

C’est décidément la rentrée de tous les dangers. Le pays devrait traverser un de ses automnes les plus agités. Des avis de tempêtes sont signalés sur les champs économique, politique et social. En effet, les caisses de l’Etat se vident à mesure que le maintien d’une paix sociale, pourtant très fragile, devient de plus en plus coûteux. Le seuil d’alerte est déjà atteint avec un niveau de déficit budgétaire jamais vu depuis l’avènement de Mohammed VI. Et quand on voit les crises de dettes que traversent les puissances économiques mondiales, on se demande jusqu’à quand Maroc SA pourrait continuer de vivre à crédit. Des mesures d’austérité vont tôt ou tard devoir s’imposer. Et leur impact ne sera sans doute pas marginal : chantiers arrêtés, pertes d’emplois, hausses des prix… Voilà ce qui ne risque pas d’apaiser les rues marocaines déjà en ébullition. Certes, en laissant miroiter une image de changement sur une fenêtre de réforme institutionnelle que le Makhzen a à peine entrouverte, le Pouvoir a pu mettre le couvercle sur les mouvements de contestation populaire. Mais la température peut très vite remonter et la protestation devenir encore plus intense, encore plus “fédératrice”. Surtout si les élections anticipées ne tiennent pas toutes leurs promesses. Il s’agit au final du rendez-vous politique le plus décisif de l’histoire du Maroc sous Mohammed VI, avec tous les enjeux que cela implique. Du niveau de taux de participation à la cohérence de la majorité gouvernementale, en passant par l’identité du parti vainqueur et celle du Premier ministre, l’ensemble du processus se doit d’être à la fois exemplaire et efficace. C’est de cela que dépendra le niveau de crédibilité à accorder au nouveau pacte constitutionnel plébiscité le 1er juillet dernier. Le moindre faux pas du régime pourrait mener à une véritable crise politique, laquelle, mélangée au marasme économique ambiant, constitue un cocktail explosif. Et vu la tournure que prennent les événements, le pire n’est pas à exclure. 

…Si la crise économique atteint son paroxysme
C’est la pire des choses qui puisse arriver dans un contexte sociopolitique plus que jamais tendu. Imaginez le scénario : les difficultés économiques que vit l’Europe, premier partenaire commercial du pays, s’amplifient ; les prix des matières premières continuent de flamber ; la pluie, cette manne du ciel qui a sauvé notre économie ces trois dernières années, n’est pas au rendez vous… Ce sera tout simplement la catastrophe. L’Etat ne trouvera plus les moyens de subventionner les prix ou, pire encore, de payer les salaires de ses fonctionnaires. Conséquence : les belles promesses de croissance, de prospérité et de création d’emploi seront alors vaines. Trop pessimiste comme scénario ? Pas vraiment. Plusieurs indicateurs sont assez inquiétants : le budget de l’Etat devra accuser un déficit d’au moins 5,7% cette année. Du jamais vu depuis le début des années 1990, sous Hassan II ! Les caisses de l’Etat sont déjà quasiment vides et nombreux sont les observateurs économiques à se demander comment pourrait-on continuer à subventionner pain, sucre, gaz et carburant pour la somme stratosphérique de 48 milliards de dirhams. La balance des paiements avec l’étranger ne penche pas en notre faveur, non plus. Son déficit ne cesse de se creuser, entraînant un assèchement du matelas de devises dont se sert le pays pour ses achats à l’international. Et là, il ne faudra surtout pas compter sur les transferts des MRE ou sur les flux d’investissements étrangers pour redresser la barre. Car le Vieux continent a d’autres chats à fouetter, lui qui vit sa dépression la plus grave depuis la Seconde guerre mondiale. Plusieurs secteurs orientés à l’export, comme le textile, l’agriculture, l’automobile ou même les phosphates risquent d’ailleurs de subir un terrible choc. Les nouvelles ne sont donc pas rassurantes pour un Maroc qui a cruellement besoin de croissance et de création de richesses, pour absorber les milliers de jeunes en attente d’emploi et améliorer le niveau de vie des citoyens. La dépression économique est un véritable danger qui guette le royaume, surtout que la paix sociale – achetée à coups d’injections de milliards et de recrutements tous azimuts dans la fonction publique – ne tient qu’à un fil. Le Pouvoir risque de devoir gérer une révolte populaire si les ménages marocains sont touchés dans leur portefeuille. “C’est le pain qui fait sortir en masse les Marocains dans la rue. Souvenez-vous des émeutes de Casablanca en 1981, ou encore celles, plus récentes, de Sefrou ou de Gdim Izik à Laâyoune…”, résume ce député de la majorité. Qui oserait le contredire ?

Pronostic : fort probable. Les comptes publics sont à un niveau alarmant alors que la facture de la paix sociale est de plus en plus onéreuse. Et le contexte économique mondial n’arrange pas les affaires du pays. A ce rythme, le Maroc risque le défaut de paiement.

…Si le processus électoral manque de transparence
Le PJD s’en est sévèrement pris récemment au ministre de l’Intérieur au sein du parlement. Objet de la colère des islamistes ? La crainte que les prochaines élections se déroulent en dehors de cette transparence que tout le monde appelle de ses vœux. Pour le PJD, le risque est de voir des responsables de l’administration (gouverneurs ou walis) favoriser certains candidats aux dépens d’autres. Le PJD fait clairement allusion aux responsables soupçonnés d’avoir des accointances avec le PAM. “L’une des garanties est de changer certains responsables connus pour leur relation avec le parti d’El Himma”, souligne un dirigeant islamiste. Et cette revendication revient aussi chez d’autres partis comme le PPS, membre de l’actuelle majorité gouvernementale. “On a visiblement dépassé les cas de fraude électorale traditionnelle, mais l’administration peut toujours intervenir et elle en a les moyens”, explique un membre du bureau du parti. Pourtant, dans la conjoncture actuelle, une manipulation des élections remettrait en cause tout le processus enclenché depuis quelques mois et porterait surtout un coup sévère à l’image du royaume. Les prochaines élections, les premières dans la région depuis le début du Printemps arabe, seront un test pour le Maroc et ses institutions. Il n’est donc pas de l’intérêt du Pouvoir d’interférer dans le scrutin. D’autant que la nouvelle Constitution a consacré l’observation du déroulement des élections. L’une des premières lois promulguées après le 1er juillet est justement un texte qui permet aux observateurs nationaux et étrangers de suivre toutes les phases électorales, de la campagne jusqu’au dépouillement. Néanmoins, des signes sont déjà là pour donner une certaine idée de la bataille électorale. Les notables, dans plusieurs régions, ont commencé à s’activer dans ce qui ressemble à une pré-campagne. D’autres réactivent, à force de promesses, festins et diverses cérémonies, les réseaux qui leur permettront de faire le plein de voix, le moment venu. Sur le papier, la transparence semble garantie, mais les vieux réflexes ont la peau dure.

Pronostic : peu probable. Il y a quelques années déjà que le Pouvoir a renoncé à pratiquer le bourrage des urnes lors de scrutins législatifs ou communaux. Et même s’il était tenté par une ingérence dans les élections, il le ferait de manière subtile, probablement en amont du processus, de manière à éviter les contestations.

…Si des partis politiques boycottent les élections
Aujourd’hui, seules deux formations politiques boudent les élections au Maroc. Il s’agit d’Annahj Addimocrati et d’Al Adl Wal Ihsane. Les deux organisations (dont l’une est interdite) souhaitent ainsi manifester leur désapprobation du système politique dans son ensemble. Pourraient-elles être rejointes par d’autres partis à l’occasion des élections anticipées de novembre 2011 ? “Ce n’est pas tranché, mais plusieurs voix au sein de partis de gauche affirment que boycotter les prochaines élections législatives serait cohérent avec le boycott du référendum constitutionnel du 1er juillet”, confie une source au sein du PSU. D’autres formations, visiblement plus nombreuses, pensent que le boycott des élections est une décision politique assez lourde, et qu’elle ne peut en aucun cas être conjoncturelle. “Le chapitre des réformes n’est pas clos avec l’adoption de la nouvelle Constitution. Le message du 20 février doit être porté par des forces politiques crédibles au sein des institutions afin de ne pas perdre cette dynamique. Cela dit, il faut revenir au principe même de l’action politique, qui ne peut pas et qui ne doit pas se résumer à la participation aux élections”, confie notre militant. Il n’empêche que même au sein de certains grands partis, on ne cesse de brandir la menace de boycotter les législatives si toutes les garanties d’une neutralité de l’Etat, que ce soit dans la conduite du scrutin lui-même ou encore dans le découpage électoral, ne sont pas réunies. Une carte de négociation certes utile pour cette phase où les tractations avec le ministère de l’Intérieur vont bon train concernant les modalités techniques du vote. Mais ce serait trop hasardeux de parier sur le forfait de grandes écuries politiques en novembre prochain. Elles vont rarement au bout de leur coup de bluff…

Pronostic : peu probable. Les grandes formations politiques ne pourraient pas aller jusqu’à ce point de non-retour, synonyme de rupture avec le Pouvoir, encore moins après avoir applaudi la nouvelle Constitution. Mais une poignée de formations de moindre calibre, toutes à gauche, risquent de lancer un appel au boycott.

…Si les Marocains boudent les urnes
Comment oublier le taux de participation catastrophique du scrutin de 2007 ? Aux dernières législatives, 37% seulement des électeurs se sont rendus aux bureaux de vote et parmi eux, un votant sur cinq a glissé un bulletin nul. Aujourd’hui, plus que jamais, la question de la participation se pose avec acuité. “C’est un enjeu de taille non seulement pour la classe politique, mais aussi pour l’Etat”, explique Hassan Tarik, professeur de sciences politiques. En effet, un faible taux de participation signifie des institutions mal élues, donc un gouvernement sans crédibilité. Les beaux discours de changement ou de transition démocratique n’auront ainsi plus aucun écho. Alors, les élections de novembre prochain réconcilieront-elles les Marocains avec les urnes ? Dans la conjoncture actuelle (nouvelle Constitution, prise de conscience politique par les jeunes), la logique voudrait, en principe, que les citoyens reprennent en masse la voie des bureaux de vote pour décider du sort politique du pays. Mais rien n’est acquis. Durant les semaines qui ont suivi l’adoption de la nouvelle loi suprême, la classe politique, toutes tendances confondues, s’est plutôt focalisée sur des questions d’ordre technique (découpage électoral, listes locales et nationales, sans parler des dissensions internes concernant les candidatures) en occultant la problématique de la participation. Le pire serait donc à craindre s’il n’y a pas ce “déclic” susceptible de séduire les élites et les classes moyennes pour les inciter à participer au jeu démocratique. Cela passe par l’ajustement de plusieurs paramètres. Il s’agit d’abord d’étoffer au maximum le corps électoral. Sur ce plan, le ministère de l’Intérieur devrait lancer une énième révision des listes électorales. Le nombre de nouveaux inscrits pourrait ainsi donner un avant-goût du futur score de participation. Autre paramètre qui peut être déterminant pour attirer des électeurs, le renouvellement de la classe politique. Mais sur ce chapitre, il ne faut pas s’attendre à un miracle. “Il y a de fortes chances qu’on débouche sur l’éternel scénario : un scrutin qui profiterait en bonne partie aux notables, ces professionnels des élections”, pronostique un politicien chevronné. L’offre politique des partis est donc cruciale pour espérer une adhésion populaire à ces législatives. Et cela commence par les programmes qu’ils proposent pour gouverner le pays lors des prochaines cinq années. Programmes qui ne devraient d’ailleurs plus tarder : les partis sont en train de mettre les dernières touches à leurs copies. Pourvu qu’ils nous surprennent…

Pronostic : probable. Ce n’est pas parce que le référendum a enregistré un taux de participation de 74% qu’il faut espérer un score pareil pour les législatives. Le Marocain a encore besoin d’être convaincu (et surtout de constater) que l’élu auquel il va accorder sa voix peut changer son quotidien.

…Si El Himma et le PAM raflent la mise
Que fera Fouad Ali El Himma ? Se présentera-t-il aux prochaines élections ? Du côté du PAM, d’où Si Fouad s’est éclipsé depuis plusieurs semaines, on ne fournit aucune réponse. En réalité, même les membres de la direction ne sont pas au courant de ce que prévoit, ou prépare, le fondateur du parti. Officiellement, il est toujours membre du PAM même s’il a renoncé aux commissions qu’il dirigeait. Il peut donc revenir à l’affiche à n’importe quel moment et, pourquoi pas, rempiler pour un nouveau mandat de député. Une décision qui ne sera sans doute pas du goût de la rue. Par des slogans acerbes, à chaque manifestation du Mouvement du 20 février, il est désigné personnellement (en plus de son parti) comme responsable de la médiocrité de l’action politique. Mais dans son fief de Rhamna, il a pourtant toutes les chances qu’on lui ouvre grands les bras. En 2007, sa liste (alors indépendante) a réalisé un score digne d’un référendum marocain. Depuis le temps, son sigle du tracteur a labouré en long, en large et en travers le champ politique pour se hisser numéro 1 des élections communales de 2009 (près de 22 % des voix). Le PAM serait-il toujours capable d’une telle prouesse après avoir été décrié par le peuple ? En tout cas, le parti est décidé à ne pas sortir les mains vides de la prochaine échéance électorale. La formation est en train de boucler la liste de ses candidats et tente de trouver le bon dosage entre la composante gauchiste (issue du MTD) et les notables faisant figure de machine électorale. Ses dirigeants promettent même une campagne électorale sans précédent dans les annales du pays. “Nous avons accumulé assez d’expérience et nous disposons des cadres et compétences capables de consacrer la place du parti comme acteur politique incontournable”, explique Samir Aboulkassim, membre du bureau politique. Seulement, une victoire d’El Himma et de son parti pourrait entraîner le pays dans une grave crise politique. Le PJD, mais aussi plusieurs autres partis, y verront encore un scandale… Une OPA du parti de l’ami du roi.

Pronostic : probable. Les dernières communales ont bien démontré que le parti est devenu une véritable machine à gagner. Son homme fort, Fouad Ali El Himma, jouit d’un fort capital “proximité avec le roi” que ses troupes savent convertir en voix lors de rendez-vous électoraux.

…Si le PJD fait un raz-de-marée
C’est l’une des révélations les plus croustillantes contenues dans la dernière livraison de câbles diplomatiques américains dévoilés par Wikileaks. Lors d’une rencontre avec des responsables américains en 2005, Mohammed VI aurait affirmé “qu’il fallait se méfier des islamistes, qu’ils soient modérés ou extrémistes, parce qu’ils sont tous hostiles aux intérêts des USA”. à l’époque, le royaume craignait déjà un raz-de-marée islamiste à l’occasion des élections législatives de 2007. Cela a-t-il réellement changé aujourd’hui ? Pas vraiment. Il a par exemple suffi que le député Mostapha Ramid fasse part de ses appréhensions quant à la transparence des prochaines élections pour que le gouvernement se fende d’un communiqué stalinien où il affirme que ce genre de réflexions servait “les ennemis de la nation”. En quelques années, les islamistes du PJD ont pourtant réussi un pari difficile : s’imposer en tant que parti politique au fonctionnement réellement démocratique et, partant, de représenter aux yeux de larges franges de la population une alternative sérieuse aux forces politiques qui se sont succédé au pouvoir. Même des laïcs se retrouvent ainsi séduits par le modèle PJD et certains pourraient même aller jusqu’à lui accorder leurs voix pour exprimer un vote de contestation. D’autant que les leaders de la formation menée par Abdelilah Benkirane adoucissent leurs discours et affirment vouloir se préoccuper d’abord des problématiques quotidiennes des Marocains. Cela dit, il en faudra davantage pour convaincre la majorité des modernistes qui reste méfiante à l’égard de ce discours politique. Pour eux, il n’est pas exclu que les vieux démons ultraconservateurs du parti se réveillent en cas de victoire écrasante en novembre prochain. En plus, l’accès au pouvoir d’un gouvernement PJD pourrait susciter une certaine incrédulité chez les partenaires occidentaux. Les dirigeants américains et européens ont beau rompre avec leur logique de soutenir des régimes despotes pour éviter de devoir composer avec des gouvernants islamistes, ils ne restent pas moins sensibles à l’islamisation progressive de la région. Surtout avec la montée du parti Ennahda en Tunisie et des révolutionnaires islamistes en Libye. “C’est un élément qui préoccupe les chancelleries occidentales, nous confie ce politologue. Ces diplomates sont inquiets quant à l’avenir de la région, déjà instable, si ces mouvements islamistes créaient des synergies entre eux”. D’ailleurs, il est quasi-établi qu’une synergie entre le PJD et la Jamaâ d’Al Adl Wal Ihsane garantirait au parti islamiste une victoire haut la main.

Pronostic : peu probable. Les islamistes ont l’habitude de monter sur le podium à chaque rendez-vous électoral. Seuls le découpage électoral et le mode de scrutin freinent encore leurs ambitions. Si tout se passe bien en novembre, le PJD a des chances de renforcer sa position. Mais de là à tout rafler…

…Si une majorité gouvernementale n’est pas rassemblée
La question s’est déjà posée en 2007, quand le Premier ministre Abbas El Fassi s’est trouvé dans l’incapacité de former un gouvernement, plusieurs semaines après sa nomination par Mohammed VI. Les conseillers royaux Abdelaziz Meziane Belfqih et Mohamed Moâtassim étaient alors entrés sur la ligne, allant jusqu’à remettre à El Fassi une liste contenant la composition de sa propre équipe. La donne n’a pas foncièrement changé aujourd’hui. Certes, le prochain chef du gouvernement sera issu du parti arrivé premier lors des élections législatives, mais que se passera-t-il s’il échoue à constituer une majorité gouvernementale ? Le texte constitutionnel ne prévoit rien de précis, ouvrant ainsi la voix aux interprétations et aux lectures des constitutionnalistes. Ce ne sont pas les acrobaties qui manquent : le Palais peut toujours sortir un joker et accorder par exemple à n’importe quel technocrate l’étiquette du parti gagnant des législatives pour constituer une équipe castée par les hommes du sérail. Pour de nombreux observateurs, il ne sera pas nécessaire d’en arriver là, vu “la culture du consensus fortement présente sur le champ politique marocain”. Au pire des cas, le premier cercle du Pouvoir pourrait pousser vers la constitution d’un gouvernement de coalition nationale ou d’une équipe assez large, de manière à réussir la transition constitutionnelle. Quoi qu’il en soit, pour éviter de se retrouver dans une telle configuration, les partis politiques commencent à prendre position dans l’échiquier. A quelques semaines des législatives, quatre formations (MP, PAM, RNI, UC) ont déjà scellé une alliance affirmant que “s’ils ne vont pas ensemble au gouvernement, ils rejoindront tous les rangs de l’opposition”. A gauche, l’USFP tente de rassembler autour d’elle quelques formations de poids moyen ou marginal. Mais il n’est pas acquis que ces familles politiques restent vraiment soudées. “Ces alliances préélectorales sont précaires. Elles peuvent donc voler en éclats au lendemain de l’annonce des résultats, sauf si chacun obtient sa part du gâteau”, analyse ce jeune politicien. Ne s’agirait-il donc que d’un autre coup de bluff politique pour mieux négocier avec le Pouvoir ?

Pronostic : peu probable. Même si les législatives débouchent sur une carte politique éclatée, les hommes du sérail ne manquent ni d’ingéniosité ni d’arguments pour “forcer” des alliances, même les plus improbables. Au pire, ils peuvent opter pour la constitution d’un gouvernement de coalition nationale ou d’une équipe assez large pour assurer la transition.

…Si le Printemps arabe se prolonge
C’est bientôt l’automne et le Printemps arabe n’est pas encore près de finir. Après l’effondrement des régimes de Ben Ali et de Moubarak, la lente et douloureuse chute de Kadhafi et l’affaiblissement du pouvoir de Ali Abdellah Saleh, d’autres soulèvements populaires sont encore possibles. Il y a d’abord la révolution syrienne qui prend de plus de plus d’ampleur malgré la répression féroce du régime de Bachar Al Assad. D’autres pays peuvent également être atteints par ce “Big-Bang” qui a changé la face du monde arabe. Ainsi, et malgré les tentatives de réformes entamées par le roi Abdallah, la Jordanie n’est pas à l’abri de la contagion. Les manifestations qui secouent le grand voisin syrien sont susceptibles de faire des émules au royaume hachémite et pousser la population jordanienne à battre de nouveau le pavé, pour exiger d’autres réformes. L’Algérie n’est pas épargnée par cet “effet domino”. En réprimant durement les manifestations organisées par l’opposition, le régime algérien n’a fait qu’ajourner la contestation populaire. L’absence de réformes politiques, le décalage ahurissant entre la richesse du pays et la situation économique et sociale de sa population, ainsi que les graves proportions de la corruption au sein de la classe dirigeante, sont des motifs qui alimentent toujours le mécontentent et la frustration de la jeunesse algérienne. D’ailleurs, un appel sur Internet a été lancé, incitant les Algériens à descendre, le 17 septembre, dans les rues pour manifester contre le régime en place. Le Printemps arabe est appelé à se prolonger sous d’autres formes, notamment en Tunisie et en Egypte. Après la phase de la révolution et du changement de régime, la Tunisie planche sur l’élaboration d’une nouvelle constitution, rédigée par une assemblée élue et soumise à référendum. L’élection de l’Assemblée constituante tunisienne est d’ailleurs prévue le 23 octobre. Tandis qu’en Egypte, des élections libres et concurrentielles se préparent, permettant ainsi de mettre fin aux mascarades électorales organisées sous l’ère Moubarak. L’évolution démocratique de ces deux pays risque d’être déterminante et cruciale dans le monde arabe. Modèles de révolution et de soulèvement populaire contre des régimes corrompus et autoritaires, la Tunisie et l’Egypte peuvent devenir aussi des modèles de démocratie et de pluralisme politique. Il serait difficile alors de parler d’“exception marocaine”.

Pronostic : fort probable. Avec l’effondrement du régime Al Assad qui ne devrait plus tarder, la contestation pourrait reprendre de plus belle en Jordanie et à Bahreïn. L’effet domino des révolutions arabes pourrait aussi raviver la contestation en Algérie et au Maroc.  

…Si le mouvement de protestation s’intensifie
En annonçant une large réforme constitutionnelle le 9 mars dernier, le roi a joué son joker. C’était une manière pour lui de rester maître de l’agenda politique et de mettre le facteur temps à son profit. Mais la partie n’arrive pas à sa fin. En montant au filet, le Makhzen a certes affaibli le mouvement de la rue, mais n’a pas éteint totalement sa flamme. Cette flamme qui a fait sortir des milliers de Marocains, toutes classes sociales confondues, en ce fameux dimanche du 20 février (et encore plus le 20 mars), pour revendiquer plus de dignité, plus de droits et plus de liberté. Et qui peut, au moindre faux pas de l’appareil d’Etat, ravager tout sur son passage. Ce risque, le Makhzen semble pourtant ne pas le prendre au sérieux. Depuis la dernière vague de libération des prisonniers politiques, il n’y a pas eu de signal positif de la part de l’Etat pour répondre aux revendications populaires. Les mouvements de protestations ont eu droit, au contraire, à la violence, à la répression et à la propagande… Mais ce n’est pas ce genre de pratiques qui risquent d’en finir avec la contestation. Dans les grandes villes comme dans le Maroc profond, le Pouvoir s’est souvent retrouvé face à une grogne populaire. Des révoltes qui peuvent devenir incontrôlables comme on a vu à Khouribga, à Safi ou encore récemment dans les environs de Khénifra. Et l’on n’est pas à l’abri de voir ces “rébellions” locales prendre un jour une dimension nationale. Une bavure policière restée impunie, une révélation d’un scandale de corruption ou d’abus de pouvoir, une décision impopulaire, une crise politique insurmontable… tout est susceptible de servir d’étincelle de nature à faire exploser une colère irréversible de la rue. Le Makhzen n’a donc plus droit à l’erreur.

Pronostic : probable. La situation reste tendue dans quasiment tout le royaume, des manifestations peuvent éclater n’importe quand, n’importe où et pour n’importe quelle raison. Et le risque qu’elles prennent une plus grande ampleur est toujours présent.

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