Zakaria Boualem écoute la radio...

Par Réda Allali

Coincé dans la circulation casablancaise, Zakaria Boualem écoute la radio. Il se branche par réflexe sur Radio Mars. Cette station, initialement prévue pour parler de sport, est devenue une sorte d’infatigable usine à polémiques. S’il n’y a pas deux personnes qui s’engueulent sur antenne, c’est uniquement parce qu’elles reprennent leur souffle pendant la pub. C’est assez réjouissant à écouter, une sorte de plongée dans les abysses du foot marocain, et donc dans le Maroc. Aujourd’hui, il est question du WAC, que Dieu les assiste. Un communiqué signé d’une association au nom absurde demande des comptes au président. Depuis son arrivée à la tête du club en 2007, cet homme avisé aurait effectué quelque 74 transferts et consommé une douzaine d’entraîneurs sans obtenir de résultats exceptionnels. Ces chiffres sont prodigieux. Le président appelle la radio et  explique que le signataire du communiqué en question percevait de sa part un salaire pour espionner un peu autour de lui. En arabe, ça s’appelle un mray9i : un maître saucier. Son salaire ayant été récemment supprimé, il se retourne contre son président et devient agressif, d’où le communiqué, et tout s’explique, et merci. Si vous êtes choqué par cet usage qui consiste à rétribuer quelqu’un pour servir de bergag ou de propagandiste, vous avez peut-être raison, mais le foot marocain a lâché les freins depuis si longtemps que Zakaria Boualem est incapable de s’en rendre compte. Revenons au débat radio. Très rapidement, la discussion sur les transferts et la gestion du club est oubliée, on parle maintenant de la moralité des intervenants, on jure sur la tête de tout le monde, on décrit la condition de saucier, on s’indigne, on geint, on généralise tellement qu’on ne sait plus de quoi on parle… Les ténèbres…Sans le savoir, ce monsieur a appliqué une technique de défense très courante chez nous. Lorsqu’un responsable est attaqué, il ne répond jamais sur les arguments présentés par son contradicteur, c’est une règle de base. Non, il contre-attaque en utilisant l’axe de percussion suivant : “Mais qui êtes vous pour…”. Ce qui, en version originale, est plus parlant : “Ou chkoun nta bach…”.
C’est ce que Zakaria Boualem appelle le chkountabachisme. Faites l’exercice autour de vous. Critiquez le système et vous trouverez sans mal un de ses nobles défenseurs se lancer dans une crise de chkountabachisme, il trouvera un de vos ancêtres qui a profité de ce même système, ou au contraire un parent qui l’a combattu pour, bizarrement dans les deux cas, discréditer vos propos. Ajoutez-y un peu de sortage des yeux et le débat initial se transportera derechef sur votre généalogie, et le tour est joué. Cette attitude est un peu regrettable, parce qu’elle nous prive de débats cruciaux. On n’y peut rien, chez nous la pensée est avortée, remplacée par les attaques personnelles portant sur la légitimité des intervenants. Zakaria Boualem est perdu dans ses pensées lorsqu’il entend, à la radio, la polémique suivante. Un chroniqueur parle du FUS, et de son jeu. Il le trouve un peu terne, porté sur la défensive. Aussitôt, le SMS d’un auditeur lui répond : “Le FUS est plus grand que toi, vous n’avez pas le droit d’en parler, occupez-vous de vos affaires”. Cet homme a donc investi 6 DH TTC de son budget et cinq minutes de sa journée pour demander à un consultant radio de se taire. Il aurait pu mieux utiliser son temps de parole en écrivant, par exemple, que le FUS avait la seconde meilleure attaque du championnat, il aura alors proposé un argument, alimenté le débat. Mais le chkountabachisme a été plus fort. Faire taire est plus simple que de convaincre. Zakaria Boualem a donc été injuste : cette attitude n’est pas le propre des responsables. Tout Marocain s’accorde le droit de faire taire son voisin. Notre héros va leur faire plaisir cette semaine, puisqu’est venu le moment qu’il se taise lui aussi, et merci.