Interview. “Israël est plus dangereux que l’Iran”

L’Iran est à nouveau sur le devant de la scène. Un récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) fait état d’une dimension militaire du programme nucléaire de l’Etat perse, ce qui inquiète les Etats-Unis et l’Europe. Jamais la menace d’attaque militaire n’a pesé aussi lourd sur l’Iran. Deux experts de l’Iran nous livrent leur analyse des événements de ces derniers jours.

Yann Richard. Enseigne et dirige à l’Institut d’études iraniennes à la Sorbonne à Paris. Son dernier ouvrage est paru sous le titre : L’Iran de 1800 à nos jours, Flammarion, 2009.

Thierry Coville. Chercheur à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) à Paris, spécialiste de l’Iran. Il est l’auteur de Iran : la révolution invisible, La Découverte, 2007.

Doit-on prendre au sérieux les menaces d’une attaque militaire d’Israël contre l’Iran ? Quelles en seraient les conséquences ?
Yann Richard : Ces menaces, ou plutôt rodomontades, ne me semblent pas sérieuses. Israël peut-il monter une telle attaque sans aide américaine ou saoudienne? Il lui est impossible de survoler la Syrie ou l’Irak. Et, en cas d’attaque, les menaces de représailles iraniennes sur le détroit d’Hormuz risquent de faire doubler ou tripler immédiatement le prix du pétrole, aucune économie industrielle n’y résistera.
Thierry Coville : Quand on parle de guerre, il faut toujours écouter. Cependant, je ne pense pas que ces menaces soient sérieuses. Israël s’engagerait dans quelque chose qu’il ne maîtrise pas. Ce serait une initiative très dangereuse pour l’Etat hébreu et sa sécurité. L’Iran, avec l’appui du Hezbollah et du Hamas, a les moyens de mettre la pagaille dans la région.

Quels pays pourraient appuyer l’initiative israélienne et pourquoi ?
Y.R :
En 1981, les Israéliens avaient utilisé l’espace aérien saoudien (et peut-être jordanien) contre la centrale irakienne de Tamuz. Une telle facilité, aujourd’hui, n’est pas évidente, même si les Saoudiens ont intérêt à affaiblir l’Iran. Ils se délégitimeraient encore plus. Seuls les Américains pourraient appuyer une opération aérienne et je doute qu’ils soient prêts à prendre ce risque. Pour l’heure, ils ont besoin, dans cette région, de plus de stabilité que de déséquilibre et de trouble.
T.C : Pour le moment, seuls quelques hommes politiques américains, affiliés au parti républicain (ndlr : il s’agit des républicains Herman Cain, Mitt Romney et Rick Perry), ont accordé leur soutien à Israël. Mais ce sont plus des positionnements politiques qu’une véritable initiative d’un Etat. Il n’y a pas un seul pays qui appuie cette action. Même en Israël la question divise. L’ancien chef du Mossad, Meir Dagan, s’est clairement opposé à une attaque de l’Iran, qu’il a qualifiée de “stupide”.

Cela fait un moment que l’on se doute que le programme nucléaire iranien a une dimension militaire. Qu’est-ce qui explique ce regain de tension aujourd’hui ?
Y.R :
Cette tension est purement artificielle, instrumentalisée par Israël pour faire oublier la magnifique réussite de Mahmoud Abbas à l’ONU et à l’Unesco. Rien de nouveau, sinon la continuation d’un programme découvert en 2002, qui irrite les Israéliens. Certes, il y a désormais une centrale nucléaire civile en activité à Bushehr, et l’enrichissement de l’uranium n’a pu qu’avancer malgré les embargos et les sanctions, permettant sans doute la constitution de quelques armes expérimentales. Rien en tout cas qui doive inquiéter une puissance comme Israël, dotée de plusieurs centaines d’ogives opérationnelles. Une fois de plus, Israël se victimise à bon compte en présentant l’Iran comme la menace vitale qu’il faut à tout prix neutraliser.
T.C : Dans la presse occidentale, on associe automatiquement le programme nucléaire au président iranien, Mahmoud Ahmadinejad. C’est une erreur. Le programme nucléaire est décidé par le Conseil national de sécurité iranien, qui fonctionne sur le mode de la concertation et du consensus. La dimension militaire du programme ne peut pas avoir été décidée par Ahmadinejad. La décision de se doter d’une arme nucléaire n’est pas le fruit d’une volonté politique, elle a sûrement été prise par des scientifiques qui participent au programme d’enrichissement nucléaire. Les Américains le savent et l’ont écrit dans un rapport publié il y a quatre ans. Aujourd’hui, ils font comme si ce rapport n’avait jamais existé. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui relève tout simplement de la campagne de communication.

Si l’Iran se dote de l’arme nucléaire, dans quelles mesures les rapports de force dans la région en seront modifiés ?
Y.R : Les rapports de force seront favorables à l’Iran, qui aura une arme de dissuasion, pour éviter une attaque comme celle de 1980 quand Saddam, appuyé par les pays arabes (moins la Syrie) et les Occidentaux, a attaqué et bombardé l’Iran (guerre Iran-Irak, 1980-88).
T.C : Pour l’Iran, se doter de l’arme nucléaire c’est surtout un moyen d’avoir plus de pouvoir dans la région. Mais Israël en a aussi. Il a un programme nucléaire militaire important, entre 100 et 300 ogives nucléaires. C’est Israël qu’il faut placer sous contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Pourquoi impose-t-on à l’Iran de respecter le Traité de non-prolifération (TNP) alors que les puissances occidentales ont toléré que d’autres pays se dotent de l’arme nucléaire ? L’Iran est-il plus dangereux qu’un autre pays ?
Y.R :
Plusieurs pays qui n’ont pas ratifié le Traité de non prolifération, dans cette région explosive, ne font pas l’objet des mêmes angoisses que l’Iran. Le Pakistan, l’Inde et Israël sont cent fois plus dangereux que l’Iran, ils sont en guerre depuis leur création en 1947. On assiste l’Inde, en dépit de toutes les conventions internationales, on ferme les yeux sur le Pakistan où l’islamisme radical est le plus virulent et on encourage Israël. Ce traité n’a plus aucune raison d’être. Il n’est qu’un cache-sexe hypocrite pour camoufler des discriminations arbitraires.
T.C : L’Iran n’est pas plus dangereux qu’un autre pays. Il n’a attaqué personne depuis 300 ans. L’Iran a un pouvoir de nuisance, mais il cherche avant tout à préserver ses intérêts nationaux. La peur que suscite l’Iran est irrationnelle. Ben Laden vivait tranquillement au Pakistan, alors que ce pays possède l’arme nucléaire et n’a jamais été inquiété par personne.

Paris et Londres ont brandi la menace de nouvelles sanctions fortes contre l’Iran. Quelles pourraient être ces sanctions et leurs conséquences ?
Y.R :
Les sanctions affaiblissent économiquement l’Iran, mais la seule sanction qui arrêterait la République islamique nous coûterait encore plus cher, ce serait de ne plus acheter le pétrole iranien.
T.C : Cette politique des sanctions est totalement inefficace. Depuis les premières mesures restrictives prises par les pays occidentaux, l’Iran n’a fait qu’accélérer son programme nucléaire. Ces mesures ne font qu’appauvrir la population iranienne et lui rendre la vie plus difficile. La plus importante sanction qui pourrait être prise serait contre la banque centrale iranienne. Cela empêcherait l’Iran de rapatrier ses devises mais cela aurait aussi des conséquences très graves sur le marché pétrolier mondial.

 

Zoom. Attaques secrètes
Israël pourrait avoir trouvé le moyen d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Le 12 novembre, l’explosion d’un dépôt de munitions fait 36 morts dans la banlieue de Téhéran, selon l’AFP. Cette explosion est présentée comme accidentelle par les autorités iraniennes. Seulement, parmi les victimes, il y avait Hassan Moghadam, un haut responsable du programme balistique iranien. Certains médias, dont Yediot Aharonot, laissent entendre que l’incident serait un sabotage orchestré par l’Israël et que le Premier ministre Benyamin Netanyahou prévoyait des attaques ciblées des installations nucléaires de l’Etat perse. “Ces explosions accréditent les rumeurs qu’Israël a pu combiner cette action avec la collaboration du groupe d’exilés MEK, Moudjaheedin-e-Khalq, […] Le MEK travaille avec la CIA et le Mossad pour s’introduire dans les installations iraniennes et pour cibler des scientifiques iraniens”, écrit Jacques Benillouche, journaliste israélien (slate.fr). Pour l’heure, le chef d’état-major des forces armées iraniennes, Hassan Firouzabadi, rejette cette version des faits : “La récente explosion n’a rien à voir avec Israël ou les Etats-Unis”.

 

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