Football. Ahmed Faras : Ma CAN à moi

Par Hicham Oulmouddane

Depuis sa victoire à Addis-Abeba en Ethiopie, le Maroc a raté tous ses rendez-vous avec la Coupe d’Afrique. Retour sur cet exploit déjà vieux de 35 ans,raconté par son héros Ahmed Faras.

Capitaine des Lions
“Après avoir fait toutes mes classes au Chabab de Mohammedia, j’ai rejoint l’équipe nationale en 1966. Ce n’était pas facile de se faire une place avec des joueurs du calibre de Driss Bamous ou Hassan Akesbi. J’étais ailier gauche jusqu’à ce que l’entraîneur remarque mon côté

offensif et me place comme attaquant de pointe. Après une participation honorable au Mondial de Mexico en 1970, nous préparions notre première participation à la Coupe d’Afrique en 1972 au Cameroun, suivie d’une qualification aux Jeux Olympiques de Munich.
Au Cameroun, c’était chaotique. Nous avons enchaîné trois matchs nuls et nous étions à égalité avec le Congo en nombre de points. Pour nous départager, l’organisation a eu recours à pile ou face. Nous étions au bord de la piscine de l’hôtel quand on nous a annoncé notre élimination. C’était comme ça les règles en Afrique. Pour les JO de Munich, il fallait battre les Maliens chez eux. Ce 21 mai 1972, l’entraîneur de l’époque, l’Espagnol José Barinaga, annonce mon nom dans la feuille de match, en ajoutant que je serai capitaine d’équipe. J’ai marqué un des quatre buts de la rencontre et j’ai gardé le brassard pendant quelques années. Un souvenir inoubliable”.

La qualification
“A l’époque, la compétition de la CAN consistait en un tournoi entre huit équipes, réparties en deux groupes. La compétition était féroce. Pour participer à l’édition de 1976 en Ethiopie, on devait venir à bout des équipes les plus fortes de l’époque. Le noyau dur de l’équipe était constitué du gardien Hamid El Hazzaz, Mustapha Chahid dit “Chrif”, Ahmed Majrouh Baba, Abdelmajid Dolmy et Abdelali Zahraoui. J’avais la chance, en tant qu’attaquant de pointe, de jouer avec mon coéquipier Hassan Assila au Chabab de Mohammedia. Grâce à ses passes lumineuses, nous étions devenus les terreurs des gardiens. En 1975, j’étais le premier joueur blanc à obtenir le Ballon d’or africain. Je me rappelle qu’un journaliste de France Football m’avait dit que pour l’avoir il fallait être noir. C’était du racisme.
Nous avons commencé les éliminations en écrasant la Gambie et la Libye, puis le Sénégal au Maroc sur un score mémorable de 4-0. Revanchards, les Sénégalais décident de programmer le match retour à 200 km de Dakar pour nous embêter. Nous étions en pleine brousse et il faisait très chaud. J’ai quand même réussi à marquer et à saper leur moral. Le dernier match de qualification contre la Guinée s’est déroulé sans moi. J’ai été blessé à la cuisse juste après mon retour au Maroc. La Fédération a décidé de m’envoyer à Lyon pour subir une intervention chirurgicale. L’équipe s’est qualifiée pour la CAN grâce aux tirs au but”.

Jouer ou ne pas jouer ?
“Le 1er mars 1976, on devait jouer notre premier match du groupe B contre le Soudan, à Dire Dawa, deuxième plus grande ville d’Ethiopie. A notre arrivée, j’avais de la fièvre, des nausées, des douleurs intestinales atroces qui m’obligeaient à me confiner dans ma chambre d’hôtel. J’étais déprimé et faible. C’était la typhoïde. Après le déjeuner, l’entraîneur roumain Gheorge Mardarescu et le colonel Mehdi Belmejdoub sont venus me rendre visite deux heures avant la rencontre. Passé les formules de politesse, le colonel n’y est pas allé par quatre chemins. Il m’a donné l’ordre d’entrer avec l’équipe sur le terrain pour ne pas démoralisé les joueurs. Je lui ai expliqué que j’étais Ballon d’or et que je risquais de me montrer sous un mauvais jour à cause de ma forme physique. Le colonel, intraitable, a insisté pour que je sois sur le terrain, quitte à ne pas courir. Après quelques hésitations, j’ai décidé de jouer ce match. Je n’ai pas été spécialement brillant, mais les joueurs m’ont beaucoup encouragé”.

La finale
“Nous avions ouvert le bal avec un match nul contre le Soudan, mais le moral était au beau fixe, malgré les rudes conditions climatiques dues à l’altitude de la ville de Dire Dawa, qui dépasse les 2000 mètres. J’attendais beaucoup du deuxième match contre le Zaïre. Les Zaïrois nous avaient éliminé lors du dernier match de qualification à la Coupe du Monde de 1974. A la 20ème minute, nous avons concédé un coup franc que j’étais chargé de transformer. J’ai feint de le botter et j’ai glissé le ballon à Abdelali Zahraoui, qui l’a placé en pleine lucarne. Cette première victoire a été un déclic pour toute l’équipe.
Deux jours après, nous avons écrasé le Nigeria 3-1, pour finir en tête du groupe B. Nous étions qualifiés avec l’Egypte, le Nigeria et la Guinée, pour jouer une sorte de mini-tournoi à Addis-Abeba. Mais le départ pour la capitale éthiopienne a été retardé. Nous avons eu une grosse frayeur. Un des réacteurs de l’avion qui nous transportait a pris feu. Nous avons dû regagner l’aéroport de Dire Dawa. Le colonel Mehdi Belmejdoub était dans tous ses états quand le pilote de l’avion lui a annoncé qu’il maîtrisait la situation et qu’il allait redécoller dans une heure. Le pilote a réussi à nous convaincre et le vol s’est finalement bien passé”.

Le moral au top
“Gonflés à bloc par les supporters marocains qui attendaient cette coupe, nous avons attaqué les phases finales avec une victoire contre l’Egypte 2-1. Abdelali Zahraoui et moi-même avons marqué les deux buts. On devait jouer le match suivant contre l’équipe du Nigeria qu’on avait déjà battue en match de poule. Nous étions menés jusqu’à la 82ème minute par un but d’avance, avant que Redouane Guezzar et moi-même ne retournions la situation. Les Nigérians étaient fous de rage. Quand l’arbitre a sifflé la fin de la rencontre, ils se sont précipités sur nous pour nous tabasser.
On commençait à entrevoir le titre africain, puisqu’un simple match nul nous suffisait pour remporter la coupe. Mais, avant cela, il fallait dompter la redoutable équipe guinéenne. Mon état de santé se dégradait de plus en plus et Hassan Assila ne pouvait pas jouer ce dernier match. Le moral était quand même au top. Le matin du 14 mars 1976, le colonel Mehdi Belmejdoub nous a réunis pour faire un speech. “Sachez que tout ce que nous avons réalisé jusqu’à maintenant ne nous aura été d’aucune utilité, si on perd ce match”, nous a-t-il dit. Notre mission était claire, il fallait gagner”.

Baba l’audacieux
“Dès l’ouverture des hostilités, la déferlante guinéenne se lance sur nous par vagues successives. A la 33ème minute, notre défense, bien qu’organisée tactiquement, cède et nous encaissons un premier but. Pour ne rien arranger, notre défenseur Smat est expulsé par l’arbitre zambien. La rencontre tourne presque à l’affrontement. Le marquage individuel et le jeu musclé des Guinéens ont failli ruiner nos espoirs. Nous avons tout essayé pour revenir dans le match mais sans résultat. Il nous fallait un miracle ou, ce qu’on appelle dans le foot, le petit plus qui change la donne.
C’est ce qui s’est produit à la 86ème minute quand un des coéquipiers joue la touche dans ma direction. Partant du centre du terrain, j’avance avec le ballon quand j’entends, derrière moi, Baba, qui arrive comme une fusée en criant “Khouya Faras, Ana mzaoug fiik, passe-moi le ballon”. J’ai à peine aperçu son ombre derrière moi. J’effectue une passe à l’aveugle en lui glissant le ballon. Baba y met toute sa rage en envoyant un obus à 30 mètres de la cage et il le loge dans la lucarne. C’était indescriptible. Nous étions champions d’Afrique. C’était une belle époque. On mouillait le maillot et on avait la Grinta. J’espère que la génération actuelle va rééditer cet exploit 35 ans après nous. Je pense qu’ils ont suffisamment de talent pour le faire”.