Cours de cuisine. À voir et à manger

Depuis quelques années, les Marocains remplacent leurs brunchs saturniens par des cours de cuisine où ils préparent eux-mêmes leurs plats. Zoom sur une tendance qui a le
vent en poupe.

Soleil de plomb sur la rue Kadi Iass, une avenue qui se serait fondue dans la flopée des artères arabisées du Maârif si elle n’abritait le fameux glacier Oliveri. Nous sommes un samedi matin à l’enseigne Hoom & Cook, distributeur agréé de la marque SEB, où se tient le cours Cuisin’Attitude, dirigé par le chef Mohamed Filali. C’est au premier étage que cela se passe, entre un réfrigérateur Smeg rouge claquant et une table de récipients flashy en promotion.
Six personnes, le quota minimum, s’activent, plastronnées d’un tablier, autour du chef pour préparer un menu en concordance avec le climat du jour : tartare de tomate, granité de citron et brochettes de gambas, pour l’entrée ; et filet de daurade au thym et escabèche de légumes au vinaigre de Xerxès, pour le plat de résistance.
Le cours commence à 10h 30 et dure une heure et demie. Quant aux tarifs, ils dépendent des ingrédients et “varient entre 350 et 450 dirhams en fonction des saisons”, précise Sophie Chevrot, la gérante de Home & Cook.

Oui chef !
“On ne peut pas rester les bras croisés !”, entonne Mohamed Filali quand il surprend quelqu’un ne mettant pas la main à la pâte. Mais gentiment. Le plus important pour lui c’est de garder son tablier immaculé. “Une façon d’amener tout le monde à participer”, note-t-il. Sa didactique théâtralisée peut rappeler la méthode Cyril Lignac, chef français ultra-médiatisé, connu notamment pour son émission Master Chef. Une comparaison qui ne flatte pas Filali, pour qui Lignac “ne constitue pas une référence gastronomique”. Car avant de fonder Cuisin’ Attitude en février 2009, il a passé 15 ans en France au service de la gastronomie et fait ses armes avec des chefs de renom dans le cadre de son cursus à l’Ecole supérieure de cuisine française. De retour au Maroc, ce chef, qui officie aussi auprès des entreprises dans le cadre d’ateliers, tient surtout à “partager un moment de bonheur” avec les différents participants, et ne rechigne pas à dévoiler ses secrets, que ce soit le prix de la bouteille de vinaigre balsamique ou l’endroit où il a acheté ses filets de poissons.

Un business en plein essor
La vague des cours de cuisine destinés au particulier ne date pas d’hier. Choumicha a ouvert une brèche en fondant Dar Choumicha, un complexe construit près d’Azemmour, composé d’un atelier, d’un restaurant et d’un studio d’enregistrement. Ses stages de formation à l’art culinaire sont donc une suite logique au succès de son émission “Ch’hiwate Choumicha” diffusée sur 2M, grâce à laquelle les ménagères des bourgades les plus reculées pouvaient apprendre la confection d’un bavarois aux fruits rouges ou la préparation d’un gratin dauphinois, pour peu qu’elles disposent d’un tube cathodique.
D’autres chefs cuisiniers lui ont emboîté le pas. A côté de Cuisin’ Attitude et ses menus à créer et à déguster sur place ou à emporter, il y a aussi “Saveurs du chef”, un lieu où Meryem Cherkaoui inculque l’art de la cuisine et de la pâtisserie, et l’atelier de Hicham Aouad où, en compagnie de huit personnes maximum, il concocte des plats composés d’une entrée, d’un plat et d’un dessert.

Tout est exotisme et inventivité
Si vous voulez apprendre à préparer des tajines, passez votre chemin. Contrairement aux cours dispensés en France, pays d’où le concept a été importé, ces ateliers ne visent pas à démocratiser la cuisine marocaine, populaire par essence car évoquant dans l’imaginaire collectif “la pièce réservée aux domestiques et aux cuisinières”, note Mohamed Filali. Ces cours se veulent donc hype et branchés, avec des menus faciles à préparer et surfant sur l’air du temps, à la demande des clients. Et l’embourgeoisement marche ; pour preuve, même les hommes s’y mettent, ne trouvant plus rien de dégradant dans un domaine réservé jadis aux femmes.
C’est la maîtrise de l’art culinaire nippon qui caracole en tête des requêtes faites par les apprentis cuisiniers. “On nous demande surtout des leçons de sushis et de makis”, remarque la gérante de Home & Cook. Facile et saine, la cuisine japonaise monopolise les préférences gustatives des Marocains, si bien que certains restaurants asiatiques se mettent à proposer des cours bradés à 150 dirhams la séance.

Cordon mais pas très bleu
Qu’on se le dise : on n’apprend rien dans ce genre de cours, ou du moins on ne mémorise rien. A la fin du cours, la plupart des participants demandent qu’on leur envoie les recettes par email. Qu’on n’espère pas non plus y apprendre le maniement des ustensiles avec la virtuosité d’un vrai cordon bleu. Ces cours sont plutôt une alternative aux banales sorties resto, les tarifs étant similaires à ce qu’on paierait dans un restaurant correct, à la différence près qu’on prépare soi-même ce que l’on va manger.
En revanche, ils permettent de sortir la nourriture de sa fonction strictement alimentaire et lui donner un semblant de raffinement. On balaie ses préjugés sur le basilic normalement confiné à une plante de balcon dans la tradition marocaine, on apprend l’existence du piment d’Espelette et du sel de Guérande, on aiguise son lexique culinaire –on blanchit les tomates avant de les éplucher et on abaisse la pâte- et, last but not least, ces cours sont une bouffée de chaleur humaine. On ne peut s’empêcher de s’imprégner de la bonne humeur et de la contagion du sourire qui y règnent, de quoi réconcilier le plus grincheux des misanthropes avec l’espèce humaine.

 

Zoom. Qui dit cours dit ustensiles
Ce n’est pas un hasard si le cours Cuisin’ Attitude se tient dans un magasin spécialisé dans la vente de produits électroménagers et autres ustensiles de cuisine. Si la séance se passe en plein milieu de rangées de couteaux et de bols en aluminium estampillés de leurs prix, c’est pour que les clients remarquent leurs existence et les utilisent pour un hypothétique achat. Car pourquoi désarêter un pavé de daurade avec les doigts quand on peut le faire avec une pince prévue à cet effet ? En somme, les cours de cuisine et la vente d’ustensiles entretiennent une relation win win, un échange de bons procédés. Avant l’explosion des émissions de cuisine sur les chaînes nationales, les ménagères se servaient d’ustensiles basiques, de préférence mornes. Les émissions culinaires ont donc porté à la connaissance des intéressés qu’il existait des bouteilles de vinaigre rigolotes et un couteau pour chaque ingrédient, et ont contribué à leur distribution massive et à la baisse de leur prix : “Aujourd’hui, il suffit de se rendre dans n’importe quelle kissariya pour acheter, à 10 dirhams, le conteneur où l’on pose la spatule pour ne pas salir le paillasson”, remarque le gérant d’une boutique discount du centre-ville.

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