Compensation. Passez à la Caisse !

Les charges de compensation vont crescendo et deviennent un fardeau pour les caisses de l’Etat, rendant sa réforme indispensable. Zoom sur cet instrument de subvention.

Le débat sur la réforme de la Caisse de compensation est relancé. Pour de bon. Najib Boulif, ministre des Affaires générales et économiques, en charge du dossier, prend à bras-le-corps le sauvetage de cet instrument de subvention. “Il est temps de se poser les vraies questions concernant cette Caisse. Est-ce normal que l’ONE bénéficie d’une aide de 5 milliards de dirhams de subventions sur le fuel ? Que l’Etat prenne à sa charge 82 dirhams du prix de la bouteille de butane ? Que le prix du gasoil soit calculé sur la base d’un cours du baril à 60 dollars alors qu’il se négocie à 110 dollars ?… Ces questions sont au centre de notre réflexion”, indique le ministre PJD. Comprenez, plusieurs bénéficiaires vont devoir se débrouiller sans la manne de cette subvention publique. En épuisant la bagatelle de 52 milliards de dirhams l’année dernière, sans compter les arriérés des pétroliers qui s’élèvent à quelque 15 milliards, la Caisse est devenue un véritable fardeau pour l’Etat. D’autant que plusieurs questions se posent sur son fonctionnement et les catégories sociales qui en profitent vraiment.

Le trou des subventions
Depuis des années, la Caisse de compensation dépasse largement son budget initial. L’Etat est donc appelé à la rescousse pour la renflouer, via des rallonges, à coups de milliards de dirhams. Comment cette manne est-elle dépensée ? Si l’on prend les 52 milliards de dirhams de l’année dernière, la subvention des produits pétroliers et de gaz butane a coûté 41 milliards, tandis que le sucre et la farine ont bénéficié respectivement de 4 et 3 milliards. Le reste, soit 4 milliards, a servi pour payer les arriérés de la Caisse au titre des exercices précédents. Voilà, le compte est bon !
Alors que le cours du baril de Brent monte en flèche et que les produits alimentaires prennent du galon sur le marché international, les prix sont restés les mêmes dans le royaume. Magie de la compensation ! Sauf que là, on flirte avec les 6,5% du PIB, soit un niveau jamais atteint. Et, c’est connu, quand les dépenses de fonctionnement s’envolent (la compensation est rangée dans ce chapitre), les budgets d’investissements passent à la trappe. En d’autres termes, afin de maintenir la paix sociale, l’Etat continue de casser sa tirelire pour soutenir les prix, au lieu de financer des projets qui peuvent être source de revenus. Seulement, les aides de compensation profitent, en grande partie, à des gens qui n’en ont pas besoin. “Plus de 80% de la subvention va là où il ne faut pas”, déplore Najib Boulif.

A qui profite le crime ?
C’est là où le bât blesse : le gros paquet de la compensation profite aux plus riches. Dans sa déclinaison actuelle, la Caisse distribue quelque 42% de ses ressources aux riches et aux entreprises, 7% aux diminués et le reste, soit 51%, aux “classes moyennes”. Petite précision : selon le HCP, est casé dans la “classe moyenne” un ménage qui touche plus de 2800 dirhams ! Mais passons sur ces aberrations… Qu’est-ce qui coûte le plus à la Caisse de compensation ? Le gasoil tient le haut du pavé avec 20 milliards de dirhams : le prix du litre à la pompe coûte 7,15 dirhams, alors que, sans subvention, le consommateur devrait le payer plus de 11 dirhams. Autre dépense qui plombe les comptes de la Caisse : le gaz butane. Aujourd’hui, la bouteille de 3 kg est vendue à 10 dirhams, celle de 12 kg à 40 dirhams. La vérité est tout autre. Sans la “main invisible” de l’Etat, le consommateur devrait payer le prix fort : 31,2 et 122,2 dirhams respectivement, soit un pourcentage de subvention de 67%. Le problème ? Cette manne profite surtout aux entreprises.
Selon une étude des Affaires générales, à peine 9% des subventions de gasoil profitent au transport individuel. Le reste, soit plus de 90% de l’enveloppe, revient au transport en commun ou de marchandises. Idem pour le gaz butane, utilisé massivement par les sociétés agricoles (exonérées fiscalement !). L’Office national de l’électricité (ONE) a également sa part du gâteau. Le fuel acheté par l’Office pour la production d’électricité est fortement subventionné. Pour chaque tonne achetée, l’établissement de Ali Fassi Fihri ne paye que 2384,8 dirhams, alors que la Caisse prend à sa charge près de 3749,6 dirhams.

Les pistes de la réforme
Un coup de pied dans la fourmilière est donc le bienvenu. Mais comment ? Nizar Baraka, ministre des Affaires générales sortant, avait fait de la réforme de cette Caisse son cheval de bataille. Mais au final, le ministre istiqlalien passe la patate chaude à son nouveau collègue Najib Boulif, décidé visiblement à en finir avec les aberrations de son fonctionnement. “La réflexion est lancée et les premières actions vont être prises dès la fin de cette année”, promet-il. Mais “la décision de la réforme n’est pas technique, elle est d’abord politique”, nuance le ministre islamiste.
Il faut dire que la pilule sera difficile à faire passer car les poches de résistance ne manquent pas. Ces dernières années, les mesures adoptées pour limiter la casse ont été enfantées dans la douleur : sommation des exportateurs de sucre de restituer la subvention (5 dirhams/kg), l’introduction, dans la Loi de Finances 2010, d’une TIC de 1000 dirhams la tonne sur les quantités de sucre consommées par les industriels des boissons gazeuses… Mais, même ce faisant, l’impact a été très minime. La solution ? “Nous allons explorer toutes les pistes : la restitution de la subvention, l’augmentation des tarifs pour la tranche de consommation d’électricité élevée, la taxation des grandes cylindrées…”, conclut Najib Boulif. On attend de voir !

Subvention. Que serions-nous sans la Caisse ?
Sans cet instrument de subvention, le consommateur se trouverait face à la réalité des prix. Et cela risquerait de lui faire mal, très mal. Selon une étude des Affaires générales et économiques, sans la subvention, le taux de pauvreté serait de 11,3% au lieu de 8,9% actuellement. 700 000 personnes de plus rejoindraient les rangs de la population vivant en deçà du seuil de pauvreté. A elle seule, la hausse des prix des produits alimentaires subventionnés (farine et sucre) induirait un déplacement de 4% des individus vulnérables vers la classe “des pauvres”, soit quelque 214 000 individus. A cela, s’ajoute le taux d’inflation qui, sans la subvention, aurait été de 4,9% en 2010 au lieu de 0,9%. C’est dire que le ministre des Affaires générales et économiques marche sur un terrain glissant !

 

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