Amis français, américains…

Par Karim Boukhari

L’exercice du pouvoir est au cœur de nos problèmes et il est inutile, voire malveillant, de nous faire croire que c’est une question tranchée, finie.

Le Maroc est un pays stable, moderne, qui se démocratise vite et bien, la contestation représentée par le Mouvement du 20 février et les islamistes radicaux y est minoritaire, la femme y est l’égale de l’homme, les droits de l’homme y sont respectés, et tous les Marocains sont attachés à la personne du roi. Point à la ligne. Que de raccourcis et que d’affirmations aussi légères qu’une plume emportée par le vent de l’hiver… Si quelqu’un vous dit cela en face, vous êtes partagé entre l’envie de lui sourire et celle de l’étrangler parce qu’il se moque de votre intelligence. Le mec qui cherche à vous endormir est soit un naïf, soit un tricheur. Ce ramassis de lieux communs, d’approximations et d’erreurs de jugement correspond pourtant à l’image que renvoie le royaume à l’extérieur ou, pour être plus exact, c’est l’image que le monde extérieur, et notamment la France et les Etats-Unis, veulent façonner à tout prix du royaume.
L’Occident a besoin d’un modèle dans la région, un pays où l’évolution tient lieu de révolution, un régime sur lequel s’appuyer pour reconfigurer tout ce monde arabe dont l’avenir semble incertain. Tout porte à croire que c’est sur le Maroc que ce choix et ce pari ont été portés. Et nous nous retrouvons un peu dans la situation du jeune garçon qui passe chez le tailleur pour essayer un costume choisi par son papa. Du sur mesure. Mais si le papa se trompe sur les mensurations du garçon, le costume sera rapidement jeté à la poubelle. Et le résultat sera un beau gâchis.
Nous n’allons pas noircir un tableau que les autres s’acharnent à rendre immaculé. Mais tout de même. Il y a loin, loin, de la coupe aux lèvres et la belle image du royaume contraste fortement avec la réalité inquiète et tourmentée qui est la nôtre. La vérité, c’est que la bienveillance de l’Occident a des accents de complaisance. Comment prétendre le contraire quand on observe le traitement réservé au Maroc dans les grands médias internationaux et qui ressemble, comme un jumeau, au discours mielleux des principales chancelleries occidentales. En gros : “Ne changez surtout rien, vous êtes sur la bonne voie, vous êtes un modèle pour le monde arabe qui va si mal, veuillez fermer le couvercle s’il vous plaît”. Ce traitement biaisé, partiel, consiste à mettre en sourdine les énormes ratages et à surexposer les quelques efforts consentis. Ce n’est pas cela qui nous aidera à sortir de l’impasse et nos amis bienveillants ont tout intérêt à le comprendre.
En résumé, notre pays a connu un début d’année intéressant et, jusqu’en mars-avril, l’espoir d’un vrai changement était permis. Mais la machine s’est grippée depuis et les deux principales échéances de l’année, la nouvelle Constitution et les élections anticipées, ont été un ratage. Combien parmi vous se sont sentis concernés par ces deux rendez-vous ? Combien y ont cru ? Combien croient encore au “processus” en cours ? Est-ce normal ?
Si le rendez-vous avec la nouvelle Constitution a été raté, c’est que le contenu a été en deçà des attentes et que la campagne référendaire nous a plongés dans les délires et les dérapages de la triste ère hassanienne. Et si les élections ont récolté, au-delà des chiffres relatifs au vote, un bof général, c’est que l’enjeu de ces élections, et contrairement à tout bon sens, n’a pas été de savoir qui va gouverner (parce qu’on le sait déjà, c’est le roi) mais qui sera plus ou moins associé à l’exercice du pouvoir.
Ces deux ratages seront lourds de conséquences parce qu’ils nous rappellent que le Maroc n’est pas en train de régler ses problèmes mais de les accumuler. L’architecture du pouvoir, son organisation, sa répartition, sa représentation, tout cela est au cœur de nos problèmes et il est inutile, voire malveillant, de nous faire croire que c’est une question tranchée, finie.
Je me rappelle que Mohammed VI avait affirmé, dans l’une de ses premières et seules interviews, qu’il avançait au rythme des Marocains. Il se trouve que les Marocains ont accéléré le rythme et que, en face, la cadence semble être sensiblement la même. Nous, ici, à l’intérieur du royaume, on l’a compris. Merci, amis bienveillants, français ou américains, de faire l’effort de le comprendre.