LE GRAND ORAL DE SCIENCES PO

Plus que trois semaines nous séparent des élections. Les leaders des grands partis politiques continuent de défiler pour la série de conférences-débats organisées par l’Association marocaine des anciens de Sciences Po, en collaboration avec TelQuel et Al Ahdath Al Maghribia. Cette fois-ci, c’est au tour de Khadija Rouissi, membre de la direction du Parti authenticité et modernité, de défendre ses positions..

Khadija Rouissi. “On ne peut réduire le PAM à la personne d’El Himma”

Première force politique au parlement, le PAM est l’une des composantes du G8, alliance créée récemment par 8 partis. Le pouvoir ou l’opposition ? Ce sont les urnes qui le diront. Car le PAM ne “dégagera” pas. Il couvrira 85 des 92 circonscriptions et compte bien avoir sa part du gâteau. L’essentiel de près de 2 heures de débats avec Khadija Rouissi. .

“Démission : “J’ai encore des causes à défendre”
“En tant que présidente de la commission d’éthique, j’ai présenté des rapports accablants sur des individus qui ont rejoint le parti et qui lui ont fait beaucoup de mal. Ils ont eu des pratiques intolérables au sein d’une formation qui a été créée pour moraliser la vie politique et qui ambitionne de faire la politique autrement. Il est vrai que le PAM a expulsé le maire de Meknès et 34 conseillers communaux sur la base du travail de la commission d’éthique, mais d’autres rapports sont restés lettre morte. Par la suite, j’ai reçu des menaces de mort et des militants de mon parti m’ont carrément accusée de recevoir des fonds israéliens. J’ai remis ma démission et dit qu’on ne pouvait pas affronter l’échéance des élections législatives sans renouvellement de nos élites. Un dialogue a été ouvert avec un groupe de militants et j’ai réintégré le parti. J’ai encore des causes à défendre avec un groupe de camarades. La bataille ne sera pas facile, mais elle n’est pas perdue pour autant.”

El Himma : “Personne ne décide en son nom”
“Hamid Narjiss (oncle d’El Himma et son colistier à Rhamna en 2007, ndlr) doit comprendre qu’il est temps d’injecter du sang neuf dans l’organisation du parti à Marrakech. Il y a eu les élections communales de 2009 et l’arrivée de Fatima Zahra Mansouri au poste de maire. Elle a eu d’énormes difficultés et Hamid Narjiss ne l’a pas trop aidée. Les divergences se sont aggravées récemment et Narjiss n’a pas compris que nous n’étions pas à la recherche de candidats capables de gagner les élections à tout prix. Il a démissionné et je peux vous dire qu’il y a une sorte d’autorégulation qui a commencé à s’installer au PAM. Quant au fait qu’il soit l’oncle de Fouad et qu’il n’ait plus de protecteur, comme vous dites, je peux vous assurer que personne ne parle ou décide au nom d’El Himma. D’ailleurs, avec toute la valeur ajoutée qu’il a apportée au PAM, on ne peut pas réduire tout un parti à une personne. Nous nous installons dans la normalité et chacun doit assumer ses responsabilités.”

M20 : “Ils ont été manipulés pour scander des slogans hostiles au PAM”
“Le Printemps arabe et les revendications du Mouvement du 20 février ont fait bouger les choses dans le bon sens. Des réformes que nous avons toujours défendues ont été engagées. Cependant, des membres de ce mouvement, où se côtoient les adeptes de la dictature du prolétariat et ceux qui rêvent de l’instauration d’un califat, ont été manipulés pour scander des slogans hostiles au PAM et à ses dirigeants. Nous avons été visés parce que nous avons été un vrai rempart contre les conservateurs et que nous avons contribué à la réconciliation du pays. Fouad Ali El Himma a été une pièce maîtresse dans la création et l’action de l’IER (Instance équité et réconciliation). Quant aux élections, le PAM se soumettra et respectera le verdict des urnes. Si le peuple décide de faire de nous un parti d’opposition, nous remplirons alors ce rôle. Si le peuple décide de nous permettre d’être au pouvoir, nous ferons tout pour continuer à défendre notre projet d’une société moderne et démocratique. Ce n’est pas de la naïveté politique, mais nos rivaux ont usé de tous les coups et tous les moyens pour détruire le PAM.”

G8 : “Je continuerai mon combat contre les fatwas de Zemzmi”
“Abdelbari Zemzmi est un membre du Parti renaissance et vertu (PRV), mais il n’est pas le parti. J’ai une longue expérience avec ce monsieur et je me suis toujours exprimée contre ses fatwas bizarres et, en général, contre l’anarchie qui caractérise ce domaine. Je continuerai d’ailleurs ce combat et je dis qu’aujourd’hui, le Maroc a besoin de théologiens qui travaillent à consacrer les valeurs de dignité et de tolérance. Pour revenir aux alliances, le G8 est là pour défendre un programme commun à la préparation duquel tout le monde a participé et qui engage tout le monde. Quant aux composantes de celle alliance, il ne faut pas oublier que même au sein du PAM, nous avons aussi une sensibilité de gauche. En 1998, personne n’a trouvé anormal le fait de constituer un gouvernement de 8 partis et avec des ministres de souveraineté en plus. Comment un parti comme l’USFP peut-il être proche de l’Istiqlal et comment le PPS peut travailler main dans la main avec le Mouvement Populaire ? Tout cela pour dire qu’il ne faut pas que des détails nous fassent oublier le plus important. Et pour cette alliance, ce qui importe d’abord c’est de consacrer les nouveautés apportées par la Constitution et renforcer la normalité politique.”

Elections : “65% de nos candidats font leur baptême du feu”
“Il est vrai que les militants qui viennent des rangs de la gauche ont eu beaucoup de difficultés à se faire élire. Je donne l’exemple de Salah El Ouadie à Safi lors des élections partielles de 2008, qui a dû faire face à la corruption généralisée. Mais il ne faut pas oublier qu’en 2009, à l’occasion des élections communales, nous avons remporté ce scrutin et que 60% de nos élus n’ont jamais fait de politique. Pour le 25 novembre, nous présentons plus de 65% de candidats qui font également leur baptême du feu. C’est une prise de risque, mais elle sera salutaire. Pour ce qui est des notables auxquels vous faites allusion, ils étaient là bien avant la création du parti. Mais il ne faut pas oublier que tout le monde était d’accord sur une plateforme commune. Par la suite, des membres ont commencé à quitter le navire puisqu’ils ne se retrouvaient plus dans les idées et les positions du PAM. C’est une bonne chose et un signe de bonne santé de notre parti.”

Projet : “L’individu, protecteur de la démocratie”
“Le programme du G8 n’est pas celui de Salaheddine Mezouar et du RNI. Et il n’y a pas de mal à ce qu’on reprenne à notre compte le projet d’une société démocratique et moderniste de Mohammed VI. Le roi s’est exprimé à maintes reprises pour dire que le choix de la démocratie était irréversible. Pour nous, démocratie et modernité ont un sens et un contenu qu’il faut traduire dans la vie de tous les Marocains. Nous sommes conscients des possibilités offertes par notre projet, mais aussi de ses limites. Notre projet est de réhabiliter l’individu et en faire un citoyen responsable, capable de faire des choix et de devenir le protecteur de la démocratie. Nous sommes surtout attachés à un enseignement et un système de santé de bonne qualité et accessibles à tous. Cela s’appelle être pragmatique car c’est ce qui nous permettra de lutter contre le chômage, de faire face aux défis qui se posent à notre pays. Et, en fin de compte, d’allier développement économique et démocratie. Nous sommes aussi pour la méritocratie. Loin des clivages politiques, je pense que ce qui importe le plus est le mode et le système de gouvernance.”

 

Comme si vous y étiez
Une voiture noire s’arrête devant le siège de la Bourse. Un jeune homme s’empresse d’ouvrir la portière arrière. Khadija Rouissi est à l’heure, en djellaba. Peut-être est-ce là le volet “authenticité” défendu par sa formation. Elle est accompagnée des dauphins de son parti. D’ailleurs, ils seront majoritaires dans la salle de conférence de notre Wall Street, encerclée quelques heures auparavant par des diplômés chômeurs. Tout le monde connaît Lalla Khadija qui lance un “tout va bien” à un interlocuteur qui s’enquiert de la “situation” au téléphone. Le passage au PAM de la présidente de Bayt Al Hikma n’a pas altéré le franc-parler de cette militante de toujours.
Madame Rouissi reste intransigeante sur les principes qu’elle a toujours défendus. Elle a mené une mini-purge au sein de son parti et promet de ne pas lâcher prise. Mais, ce jour-là, elle joue la cachotière. Elle dit que sa candidature n’était pas encore tranchée alors que les “initiés” savaient déjà qu’elle était 2ème sur la liste nationale du PAM. Autrement dit, on peut dès maintenant l’appeler “Madame la députée”, à moins que sa liste ne soit invalidée. Ce qui a peu de chance d’arriver…

 

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