Fiscalité. Mais à quoi sert donc la vignette ?

La vignette automobile est une taxe pleine d’aberrations mais qui rapporte gros. Le prochain gouvernement osera-t-il y toucher ?

C’était l’une des principales nouveautés en matière fiscale du projet de Loi de Finances 2012. “C’était”, parce qu’entre la première mouture du texte de loi, retirée du parlement, et la seconde, en discussion dans l’hémicycle, la hausse programmée de la vignette automobile sur les grosses cylindrées a tout bonnement sauté. La mesure est pourtant légitime. “C’est une disposition fiscale qui va engager le prochain gouvernement et qui peut être en contradiction avec son programme. Nous avons donc préféré laisser à la prochaine équipe le soin de statuer sur la question”, explique un proche collaborateur de l’argentier du royaume, Salaheddine Mezouar.
La même réponse du gouvernement que pour justifier la suppression du fameux fonds de solidarité sociale. Sauf que les deux dispositions sont différentes. Si les mécanismes de financement du fonds de solidarité ont semé la zizanie dans les milieux des affaires, la hausse du prix de la vignette, elle, est une mesure légitime, très populaire, à laquelle presque personne ne peut s’opposer. Parce que sa philosophie est saine. Explications.

Impôt en sursis
La Caisse de compensation a réservé cette année 10 milliards de dirhams au soutien des prix des hydrocarbures. Inutile de le rappeler, ce sont les riches roulant en 4×4 et berlines de luxe qui bénéficient de cette bagatelle. Pour corriger l’aberration du système, et faute d’une réforme de fond, le gouvernement a trouvé cette astuce pour prendre d’une main ce qu’il donne de l’autre. L’intention est louable. “Je ne pense pas que la prochaine équipe gouvernementale s’opposerait à une telle mesure. Elle sera certainement reconduite telle qu’elle a été conçue aujourd’hui, avec peut être de petites différences dans les barèmes et les prix”, rassure notre homme au ministère des Finances. Comprenez donc que la mesure n’a pas sauté, mais les finances publiques étant ce qu’elles sont, le gouvernement risque de la reprendre telle quelle et la faire passer comme une lettre à la poste au parlement. Sauf si on décidait de supprimer cette taxe car, hausse ou pas hausse, la vignette est une aberration en soi. Une énième du système fiscal

Racket fiscal
“Cet impôt n’existe que dans une dizaine de pays dont la fiscalité est inspirée de celle de la France. Et quand on sait que la France, inventeur de cet impôt, l’a laissé tomber pour non-sens fiscal, on se demande pourquoi nous on le garde”, explique le fiscaliste et expert comptable Youssouf Oubouali. Instituée en France en 1956 pour financer un fonds de solidarité pour les personnes âgées, la vignette automobile a été supprimée au début des années 2000, car elle ne jouait plus le rôle pour lequel elle avait été instaurée. Elle a été ressuscitée par Nicolas Sarkozy en 2007, mais sous forme d’une taxe écolo, visant à pénaliser les conducteurs pollueurs. Très sensibles à la question environnementale, les Français se sont inclinés… Le débat dans l’Hexagone a duré 10 ans, mais le mal a été réparé.
Chez nous, cet impôt relève encore du tabou, “comme pour la taxe sur l’alcool ou sur le tabac”, signale notre fiscaliste. “S’opposer à la vignette, ou à son relèvement, revient à défendre les intérêts des riches. On se tait donc…”. Un impôt par définition doit jouer un rôle social. Au Maroc, on paie la vignette, non pas pour contribuer à un quelconque fonds de solidarité ou pour compenser les émissions de CO2, mais pour boucler le budget de l’Etat. La logique est d’abord d’ordre financier. En 2010, la vignette automobile a rapporté aux caisses publiques pas moins de 1,5 milliard de dirhams. A quoi a servi cette manne ? Personne ne peut répondre, puisque ces milliards se fondent dans le budget général de l’Etat.

Faux calculs
Les officiels marocains balaient ce raisonnement d’un revers de main : “On paie la vignette en contrepartie de l’utilisation des infrastructures routières et autres services de l’Etat. C’est un impôt tout à fait légitime”. Peut-être mais le réseau d’autoroutes est payant. Et les infrastructures routières doivent être couvertes par la palette de taxe sur les revenus, les bénéfices des sociétés et autres taxes locales. Mais passons… La situation des finances publiques étant ce qu’elle est, le débat sur la suppression est tout sauf d’actualité. Quand on taxe, autant le faire dans les règles de l’art. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Petite démonstration : le tarif de la vignette est calculé sur la base de la puissance fiscale du véhicule. Un indicateur lui-même calculé sur la base de la cylindrée et de la puissance du moteur. “Mais aucune corrélation n’existe entre les deux indicateurs. Car on peut avoir une voiture puissante mais dont la cylindrée est réduite au strict minimum”, explique Hicham Smyej, journaliste spécialisé en automobile. Le 1,4 litre de Peugeot n’est pas le 1,4 litre de Volkswagen. Les premières ont une puissance réelle de 75 chevaux, alors que les secondes carburent à plus de 140 chevaux et sont donc deux fois plus puissantes. Elles payent pourtant le même prix pour la vignette, parce que le calcul de l’administration des impôts est cantonné à la simple, mais trompeuse, capacité du moteur en litres (ou en cm3). “Il y a en plus une tendance mondiale (dite le Downsizing) chez les constructeurs auto qui réduisent au maximum les cylindrées au détriment d’autres systèmes high-tech qui ne rentrent pas dans le calcul de la puissance fiscale au Maroc”, ajoute notre expert. Une erreur de calcul qui représente un énorme manque à gagner pour les caisses de l’Etat.
Autre problème, le dommage collatéral que cause ce système pour une large frange de la population qui préfère l’occasion au neuf. L’administration des impôts considère toute voiture puissante comme engin de luxe. Ce qui n’est pas toujours le cas. La Peugeot 406 compte pour une 11 chevaux. Le coût de sa vignette pour une durée d’utilisation de cinq ans serait de 25 000 DH, sur la base de 5 000 DH par an, soit la moitié de son prix à l’argus qui ne dépasse pas les 50 000 DH. Un automobiliste circulant en 406 doit donc allonger le même montant que celui roulant à bord d’un Land Rover ! “Un barème de taxation logique aurait pris pour base de calcul le prix à l’achat et ne devrait concerner que le neuf”, signale Hicham Smyej. A méditer.

Exonération. Les oubliés de la vignette
Les voitures de police, les véhicules de services des administrations publiques, les voitures des militaires, les ambulances… ne paient pas la vignette. Pourquoi ? Personne ne le sait. “Autant on peut comprendre l’utilité de cette carotte fiscale pour les ambulanciers, autant l’exonération des administrations, police, gendarmerie, armée et autres ministères est une aberration”, tonne le fiscaliste Youssouf Oubouali.
La taxe spéciale annuelle sur les véhicules automobiles (TSAVA), dite vignette dans le langage courant à cause du macaron qu’on colle au pare-brise, est payée en contrepartie de l’utilisation des infrastructures routières. Pourquoi donc exonérer ces différents départements de l’Etat ? L’administration des impôts avance l’argument suivant : “Ces départements assurent un service public au citoyen et ne peuvent logiquement pas être taxés”. A suivre cette logique, les fonctionnaires de l’Etat, de l’armée, de la police qui assurent eux aussi un service public, ne doivent pas s’acquitter de l’Impôt sur le revenu, ni de la TVA… Et les établissements publics comme l’ONCF, l’OCP ou la RAM…ne doivent pas non plus payer d’Impôt sur la société. Cherchez l’erreur !

 

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