Chronique. Ma liberté, ma priorité

Par

Quid de la liberté de conscience ? De la liberté sexuelle ? De la liberté tout court ?

Que signifie être moderniste dans le Maroc d’aujourd’hui ? Un email me fait penser à cette guéguerre du mois de juin dernier. Un rappel des faits : avant sa validation par le Palais, les islamistes ont eu vent de l’éventuelle existence, dans le projet de la nouvelle Constitution, d’une bombe appelée “liberté de conscience”. Si le projet avait été soumis, dans cette version, au référendum populaire, cela allait être une “catastrophe” pour “l’identité” marocaine. Identité apparemment tellement fragile qu’un rien pourrait l’ébranler.
Et le feu a pris…
Que les islamistes s’attaquent à la liberté de conscience demandée par quelques intellos membres de la commission de réforme, c’est totalement compréhensible, voire prévisible. Que nos amis conservateurs ne bougent pas le petit doigt pour soutenir ce pas courageux qui nous aurait fait gagner des années en matière des droits humains et des libertés, c’est également prévisible. Ce qui l’est moins par contre, c’est ce silence de toutes les forces modernistes du pays. Quand les islamistes ont crié de toutes leurs “armes” pour défendre l’identité musulmane de la société marocaine contre cette “grave atteinte”, où étaient les gauchistes, les militants du 20 février, les laïcs, les associations féministes, etc. ?
D’un côté, nous étions à la veille d’élections anticipées. Soutenir cette revendication pouvait faire perdre à certains des voix électorales, voire des sièges au gouvernement. Revendiquer l’égalité dans l’héritage par exemple pouvait faire courir à des militantes féministes le danger de perdre des points dans un combat “plus prioritaire”. La parité dans les élections d’abord, celle de l’héritage viendra ensuite.
De l’autre côté, ce pas était venu de la part d’une commission contestée parce que créée par le Makhzen. La soutenir, même dans un combat légitime, lui aurait donné une légitimité qu’on lui refuse. L’ego peut parfois prendre le dessus sur des causes que nous avons défendues pendant de longues années, au risque de tomber dans l’opposition systémique.
La liberté de conscience n’est plus une priorité ! Ou du moins, elle n’est plus une priorité publique. Nous pouvons en être convaincus. Nous pouvons même l’exercer au quotidien. Mais de là à la revendiquer maintenant et en public, il y a un énorme pas qu’on ne franchirait pas ! Les libertés individuelles sont tout sauf une urgence. D’ailleurs, nous consommons bien de l’alcool, nous avons bien des rapports sexuels hors mariage. Peu importe les nombreuses épées de Damoclès… Elles ne représentent aucune menace concrète dans la réalité.

Nous attendrons…
Un ami me racontait cette rencontre avec un “grand militant” de gauche, un militant qu’on a souvent vu ces derniers temps dans les médias critiquant le Makhzen, les pouvoirs du roi, les systèmes archaïques de gouvernance du pays… à la question de son absence de prise de position au sujet de la liberté de conscience, il a répondu qu’une voix orpheline ne pouvait rien changer. Tiens, on en apprend des choses : pour défendre une cause, il est très important d’être nombreux. C’est donc une simple question de chiffres. Ce n’est pas la cause elle-même qui compte, mais plutôt le nombre de personnes qui la soutiennent. Et moi qui pensais qu’il suffisait que des voix s’élèvent ici et là pour que le changement suive. Et moi qui croyais, à tort certainement, que le mouvement MALI préférerait défendre la liberté de conscience et les libertés individuelles, plutôt que de flirter avec les foulards et les barbes d’Al Adl Wal Ihsane !
J’avais tout faux car je n’avais rien compris aux priorités. La liberté de conscience, la parité dans l’héritage, les libertés individuelles (y compris les libertés sexuelles), la dénonciation de toute l’hypocrisie liée à la consommation d’alcool au Maroc et à l’obligation de l’observation du jeûne pendant le ramadan : tout cela est très beau… pour les médias internationaux. A part cela, il y a bien des priorités qui nous autorisent même à pacser avec notre pire ennemi. Quant à la liberté de conscience, eh bien elle attendra.
Nous avons tout notre temps !

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer