Une crise utile

Par Karim Boukhari

Sur Facebook, un nouveau groupe de discussion a vu le jour et il porte le nom de “Tous pour une monarchie parlementaire au Maroc”. Ses membres sont pour la plupart de jeunes internautes qui ont l’habitude de se glisser dans tous les forums de discussion possibles. Ils basculent généralement du tout au tout et leurs débats, aujourd’hui, vont du plus posé au plus irréfléchi. Pour contrer les excès de ces jeunes gens et tenter de recadrer les débats, un nouveau groupe a vu le jour et il s’appelle “Oui à la démocratie et la liberté, Non au chaos”.

Pendant ce temps, et toujours sur le Net, un appel a été lancé à manifester le 27 février dans toutes les villes du Maroc. Quelques jours plus tard, et en réaction à ce surprenant appel, un contre-appel a été lancé pour nous dire, cette fois, que la manif’ en question n’est qu’une “tentative de manipulation de Facebook par le Polisario” puisque la date du 27 février correspond à l’anniversaire de la création de la “RASD”. Last but not least, sur Youtube, une vidéo marocaine fait un tabac depuis une semaine. On y voit des dizaines de manifestants marcher en scandant “Ben Ali Rah Rah, Oussadiss Mahou Martah”, littéralement “Ben Ali est parti et Mohammed VI n’est pas tranquille”. S’il s’agit encore d’une manip’, ce qui n’est pas exclu, nous aurons bientôt droit à une alerte sur le Net pour nous remettre sur le droit chemin. Sinon, et dans tous les cas, préparons-nous à être inondés de posts et d’alertes qui partent un peu dans tous les sens.
Nous vivons une époque incroyable, agitée, fébrile, où tout le monde se mêle de tout et revendique une chose et son contraire. C’est à la fois excitant et dangereux. Excitant parce qu’une vraie aube nouvelle est en train de se lever sur le monde arabe et parce que le mieux redevient clairement possible. Dangereux parce qu’il est très difficile en ce moment de séparer le bon grain de l’ivraie, le vrai du faux et l’essentiel de l’accessoire. Les dérapages, les manipulations, les détournements, les récupérations, l’opportunisme, le faux, toutes ces choses détestables sont en passe d’intégrer notre environnement et il va nous falloir faire très attention. Il y a des brèches qui s’ouvrent, c’est une aubaine, mais nous ne pourrons en profiter qu’en évitant de faire ou de demander n’importe quoi, n’importe comment.
Nous n’allons donc pas tomber dans le piège des théories alarmistes parce que nous n’appartenons pas à la famille des va-t-en-guerre. Restons lucides, restons justes, oublions les a priori et chassons les œillères qui nous obstruent la vue, balayons tout le champ pour essayer de comprendre sereinement ce qui se passe autour de nous. Tout en gardant le cap ! Le Maroc ne vacille pas, ce n’est pas vrai, ce n’est pas juste, mais il stresse, il angoisse, il tremble. Il est fébrile et c’est tout à fait normal. La crise que nous traversons est d’abord existentielle avant d’être politique. Elle n’est pas endogène puisque nous ne faisons que subir le ressac des vagues nées ailleurs. Il n’empêche que cette crise deviendra de plus en plus nôtre, on se l’appropriera, on la décortiquera et on essaiera d’en profiter pour faire avancer la cause de la liberté, de la démocratie et du progrès. Cette crise, elle peut nous être utile.
C’est pour toutes ces raisons que nous avons choisi, dans le dossier de la semaine (lire p. 18), de zoomer sur dix points qui représenteront, tôt ou tard, une menace pour la stabilité du royaume. Ces points sont objectifs, ils sont réels, ils hantent tous les esprits, ils correspondent à une préoccupation et à une sensibilité largement partagées, quelque chose qui fait partie intégrante de la pensée marocaine et, à partir de là, les masquer ou faire comme s’ils n’existaient pas revient à tricher, à mentir, à travestir la réalité des choses.
Le débat que nous vous proposons, donc, existe déjà dans la société marocaine. Il traverse les milieux, les salons, les couches sociales. Il nous rattrape. Et il n’a pas fini d’enfler, ne l’oublions pas. Faire l’économie de ce débat-là serait mauvais, contre-productif et, à la limite, un acte anti-patriotique. L’accepter et l’enrichir en y contribuant revient à se regarder devant une glace et à se dire : “Voilà comme je suis, à moi de corriger ce qui peut l’être”.