Un moment historique…

Par Karim Boukhari

Nous venons de vivre une semaine triste, peut-être bien la plus triste depuis l’avènement de Mohammed VI. Le Maroc a pris un coup de vieux et la rue a effectué un extraordinaire retour en arrière. Les comme moi, et peut-être aussi une partie des comme vous, ont cru revivre les événements de 1992 et de 1996, quand Hassan II mettait au point ses deux dernières constitutions. Un souvenir douloureux…
La propagande qui a balayé le Maroc tout au long de la semaine avait un parfum du passé. Cela ne sentait pas bon. Les cinémas ont affiché le Oui comme si c’était le film de la semaine. Les magasins ont dit Oui. Les clubs de foot aussi. Les boulangeries, les bus, les taxis, les anciens ceci ou cela, les habitants de tel ou tel quartier, même les clubs de karaté et les journaux sportifs ont dit Oui. Les Boutchichiyine, pourtant hommes de foi et de spiritualité, se sont mués en militants politiques et ont parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour dire Oui comme un seul homme. Et les imams dans les mosquées ont prêché pour le Oui entre deux sourates : sont déclarés bons musulmans ceux qui auront dit Oui à Sidna, les autres sont des kouffar et des êtres déviants, qu’il faudra bannir de la communauté.
Entre chants, danses, musiques, moussems et n’importe quoi, cette semaine nous a offert un revival digne des grandes épopées hassaniennes. D’un coup, nous sommes retournés dans le Maroc des moqaddems et des moqata3a, le Maroc des féodaux, des inquisiteurs et des “Et toi, tu es pour ou contre Al Malik ?”. Comment qualifier tout ce show, si ce n’est de pénible et, plus que cela, de catastrophique ? Qui est responsable de ce dérapage ? Comment ne pas pointer directement le pouvoir qui a, au pire organisé ce cirque, au mieux choisi de laisser faire ?
Jamais, au grand jamais, nous n’avons senti le danger aussi grand et aussi près de nous. Le référendum pour la Constitution s’est transformé en nouvelle bey’a, le débat sur le texte ayant laissé la place à cette question qui a empêché l’épanouissement du royaume depuis son indépendance : qui est pour le roi et qui est contre le roi ?
Nous en sommes donc toujours là, coincés au niveau zéro du développement, de la modernité et de la citoyenneté. Je suis certain que des gens de bonne foi ont voté Oui la mort dans l’âme. Je suis certain, aussi, que d’autres ont boycotté à cause du “cirque”. Beaucoup ont dû se dire : mais je vote oui ou non pour qui et pour quoi ?
Dans ces conditions, le plébiscite royal et le triomphe annoncé du Oui deviennent secondaires. Les images et les moments qui nous ont été donnés à voir et à vivre nous semblent aujourd’hui beaucoup plus importants : ils nous disent, hélas, que le Maroc n’a pas rompu avec son passé sous-développé.
Cette page restera comme une tache et un point noir. Nous ne la tournerons pas de sitôt, même si, au moment où vous lirez ces lignes, toute l’attention sera tournée vers deux points : combien de Marocains ont participé au référendum et combien ont voté Oui.
Niny, ça suffit !
Comment faire l’impasse sur le calvaire que vit, en ce moment même, Rachid Niny ? Cela fait deux mois que le directeur d’Al Massae croupit en prison, condamné à une peine de 12 mois pour avoir notamment écrit des chroniques mettant en doute l’honnêteté des services secrets marocains. Le maintien du journaliste en détention est déjà une plaie pour la démocratie. Maintenant, il y a pire : Niny est placé en cellule individuelle et privé de tout moyen de communication (pas de téléphone, pas de contact avec les autres détenus), il est “interdit” d’écrire et de recevoir des livres et il “jouit” de la surveillance d’un gardien 24h/24. Il reçoit sa famille une fois par semaine et, le reste du temps, notamment durant les longs week-ends, il vit continuellement seul et n’a aucune forme d’activité. C’est inhumain. En attendant de libérer Rachid Niny, la moindre décence serait pourtant de lui conférer, au moins, tous ses droits de prisonnier. De grâce, messieurs, vous n’êtes pas seulement en train de faire mal à Niny mais à tout un pays !