Libérez Niny !

Par Karim Boukhari

En mettant Rachid Niny en prison, le régime a commis une véritable erreur stratégique, peut-être la plus importante depuis l’avènement de ce que je vais appeler la “20 févriérisation du Maroc”. Il y a des basiques, des fondamentaux, et il faut les respecter. En temps de “révolution”, jeter quelqu’un en prison pour ses écrits est un signe de très mauvaise santé. Donc, le régime va mal, il est fébrile, et c’est une vraie mauvaise nouvelle. La détention de Niny est une défaite pour la justice marocaine, c’est aussi une défaite pour la démocratie. Le danger serait de croire qu’une voix qui sème la zizanie s’est tue et que c’est très bien comme ça. C’est une lecture erronée qui peut nous faire passer à côté de l’essentiel. Un essentiel très simple, sur lequel je n’insisterai jamais assez : on ne met pas quelqu’un en prison pour ses écrits.
Alors je le dis d’une manière nette et définitive. Il faut tout de suite relaxer Niny et, tant que le journaliste est en prison, nous le soutiendrons sans réserve. Je me fais particulièrement violence en disant cela. Je ne suis pas d’accord avec la ligne de Niny, Niny me dérange, Niny me fait hérisser le poil à peu près tous les jours, je figure d’ailleurs parmi les innombrables “victimes” de Niny, et pourtant je le répète : ce qui arrive à Niny est aussi injuste que grave. Ce qui lui arrive me touche et me fait peur à la fois. Il faut le défendre et le soutenir parce qu’il faut comprendre que ce qui lui arrive est une très mauvaise chose pour le projet que l’on défend tous : un Maroc remis sur les bons rails.
Le directeur d’Al Massae n’est ni un prophète, ni un saint. Ce n’est pas un enfant de chœur. Il est journaliste et il dirige le journal le plus diffusé dans le pays. C’est un monsieur qui a du talent, il a réussi et il incarne, d’ailleurs, une forme de rêve marocain absolument remarquable : parti de rien, fils du peuple, il a émigré clandestinement en Espagne, enchaîné les petits boulots, avant d’écrire un livre et de pondre des chroniques très personnelles qui l’ont amené, d’abord, à devenir journaliste, ensuite patron de presse. Son ascension est un cas d’école et elle a de quoi faire rêver un laissé pour compte à Guercif ou Boukraâ. Ce type incarne une certaine forme de pouvoir, il est devenu en très peu de temps un phénomène, il a créé un buzz monstrueux et il fait autant parler de lui que Michael Jackson et Charlie Chaplin réunis. Même ceux qui ne lisent jamais rien le connaissent. Je vous le demande : qui, parmi vous, n’a pas une idée fixe ou un jugement à émettre à propos de Niny ?
Il me semble que la liberté est le socle de toutes les démocraties, même quand elles sont à peine en construction. La liberté est la base du progrès. Elle est cette clé qui vous fait comprendre que, malgré tous ses problèmes, un pays est “bien parti”. Je me mets à la place des lecteurs de Niny : personne n’a le droit de les priver de ses chroniques. Je me mets à la place de l’entreprise Al Massae : personne n’a le doit de casser un projet qui marche.
Maintenant, le fond de l’affaire, c’est-à-dire les écrits de Niny, sur lesquels il y a une tonne de littérature à produire, a beaucoup moins d’importance que la forme. Niny est justiciable. Il est, je le rappelle, journaliste, et quand un journaliste est poursuivi pour un supposé délit de presse, il doit l’être selon un texte qui s’appelle le Code de la presse. Mais Niny a été jeté en prison et sera jugé selon le Code pénal. C’est un scandale. A quoi sert, donc, le Code de la presse ?
Quelle que soit leur motivation, ceux qui ont décidé d’avoir la peau de Niny ne servent pas la cause de la démocratie. Ils font passer la réforme du Code de la presse pour une plaisanterie. C’est grave parce que le Code de la presse sera un test qui nous renseignera sur la sincérité des réformes en cours. Mais à quoi servirait le Code de la presse le plus audacieux s’il n’est pas appliqué ? En disant cela, je ne me mets pas dans une posture corporatiste. Celui qui “tue” aujourd’hui le Code de la presse peut tuer, demain, les élections, la Constitution et tous les textes qui organisent ce pays.
Messieurs, jugez-le si vous le voulez, mais libérez-le. Et arrêtez la cabale (comptes bloqués, interrogatoires soutenus, visites au compte-gouttes) montée contre lui. Autrement, vous rendez un très mauvais service à ce pays.