Zakaria Boualem écoute la plaidoirie du plaignant...

Par Réda Allali

Zakaria Boualem a lu cette semaine un article très intéressant où il était question de justice et de tribunaux. En gros, on y disait que les tribunaux étaient l’hôpital de la société et que la qualité de la justice qui y était rendue était l’un des indicateurs les plus fiables de sa santé. Fort de cette incontestable vérité, le Guercifi est allé vérifier tout cela au tribunal de Aïn Sebaâ. On y jugeait un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il était accusé d’avoir agressé un autre bonhomme en bas de chez lui, à mains nues. Voilà l’affaire, donc, ce n’est pas l’assassinat de Kennedy, en termes de complexité balistique… Zakaria Boualem arrive et constate la présence de sept estafettes pleines de mokhaznis à l’entrée du tribunal et d’une dizaine de policiers dans la salle, dont un seul non moustachu. C’est le genre de statistiques qu’il fait inconsciemment. Il commence par se féliciter de la mise en place d’un tel dispositif pour juger une rixe. Il apprend ensuite que cette affaire en est à sa sixième audience, soit une quarantaine d’heures de débats en tout. Ce chiffre est prodigieux. Une vingtaine d’avocats mobilisés, et trois juges successifs. Heureusement qu’ils n’ont pas eu à juger Klaus Barbie. C’est bien entendu formidable. Si notre justice est capable d’une telle rigueur pour une bagarre de rue, c’est bien la preuve d’une extrême détermination et d’une volonté farouche de faire éclater la vérité quels que soient les efforts nécessaires. Mais c’est aussi un peu inquiétant, parce qu’à raison de dix bagarres par jour dans chaque quartier, il suffira du seul mois de ramadan pour obliger notre glorieuse administration à devoir raser la moitié de la ville pour construire des tribunaux. Zakaria Boualem écoute la plaidoirie du plaignant. Il y est question du droit à la vie, de racisme et de révolution française. Du haut niveau, assurément… Des concepts aussi puissants invoqués pour une affaire aussi banale sont la preuve qu’il n’y a pas de petite injustice, il faut se battre sur tout. Le plaignant a un discours un peu confus, il explique que sa profession est secrète, que le médecin qui lui a accordé son certificat médical veut rester anonyme, qu’il a été frappé par derrière tout en reconnaissant l’agresseur par sa voix, et qu’il lui a fracturé le nez – par derrière encore une fois – dans un mouvement qu’il faudrait demander à un poulpe de nous expliquer. Il explique aussi qu’il est aussitôt tombé dans le coma pendant une durée indéterminée juste après avoir appelé l’ambulance. Dans d’autres pays, on considérerait ce genre de témoignage ridicule. Chez nous, et c’est tout à notre honneur, on tient à rendre justice à tout le monde, même aux gens incohérents. Tous égaux – encore un concept des plus nobles. Après plusieurs heures passées au tribunal, Zakaria Boualem s’apprête à regagner son logis, rassuré sur l’état de notre justice, lorsqu’il a croisé dans les couloirs un jeune homme des plus affable qui lui a donné sa version des faits. Selon lui, l’accusé était en fait un rappeur qui avait eu le tort de produire quelques chansons peu amènes à l’encontre du système et qui était un fervent activiste au sein du 20 février. L’affaire de la bagarre ne serait qu’un prétexte pour calmer les ardeurs du jeune militant. Zakaria Boualem a bien entendu refusé cette version hautement improbable. Car si on l’accepte, cela signifie alors que le niveau de foutage de gueule est himalayesque. Toute cette matière grise mobilisée, tous ces gens venus couvrir le procès et qui assistent à des débats sur un coup porté sur la nuque alors que le problème est ailleurs… Toutes ces plaidoiries qui ne serviraient à rien, puisque le jeune sera jugé en appliquant les instructions de personnes qui ne les ont même pas écoutées. L’avocat qui parlait de révolution française aurait donc pu enchaîner sur les mérites comparés de Messi et de Ronaldo sans incidence sur le verdict. Si cette théorie était vraie, alors les gens seraient indignés, ils refuseraient pareille tbahdila, il n’y a pas d’autre mot, désolé pour les francophones. C’est bien entendu impossible, surtout depuis le premier juillet béni ou nous sommes devenus soudain démocratiques. Impossible, Zakaria Boualem le répète. Et merci.