20 février 2011

Par Karim Boukhari

L’homme de l’année ? Ce n’est pas Mohammed VI, qui a renforcé les traits d’une monarchie exécutive là où il aurait pu appuyer sur le bouton monarchie parlementaire. C’est une affaire de bon sens, nous quittons une année exceptionnelle et le bilan royal ne l’est pas. Il présente des plus et des moins (lire dossier p. 18) et, dans l’ensemble, les réalisations ont été très inférieures aux attentes. Mohammed VI a soigné son image à l’extérieur, ce que les seules (et trop timides) avancées démocratiques ne sauraient justifier. Et il ne s’est pas fini de poser problème à tout esprit rationnel.
L’homme de l’année ne s’appelle pas, non plus, Abdelilah Benkirane, tout heureux de récupérer le précieux strapontin de Chef du gouvernement. Le leader islamiste a peut-être la chance du débutant, j’espère qu’il aura la lucidité du vainqueur : ce n’est pas tant sa force intrinsèque qu’un concours de circonstances favorables qui l’a porté tout en haut.
Aussi puissants soient-ils, le chef de l’Etat et celui du gouvernement n’ont pas dicté le tempo de l’année. Ils n’ont pas eu ce privilège du moment qu’ils ont été mus par une force nouvelle, très supérieure, qui les a poussés dans le dos. Cette force s’appelle le 20 février, et il n’y a besoin d’aucun sondage pour le dire : l’homme de l’année s’appelle le 20 février. Cette date a remis le peuple, la rue, la jeunesse au départ de toutes les actions. Elle a réellement mené la danse et agi comme un acteur majeur, commandant au chef de l’Etat la plupart de ses actes, offrant au chef des islamistes une consécration inespérée, redéfinissant tant les équilibres politiques que les enjeux de société.
Si le 20 février a dessiné les traits de l’année 2011, pourra-t-il le faire en 2012 ? Oui. Le Mouvement né ce jour-là aura un an de plus, donc plus de coffre et les idées plus claires. Ses leaders seront affermis et leur mode d’action aguerri. Le M20 vient, en plus, de recevoir un cadeau involontaire mais précieux : le retrait de la Jamaâ Al Adl Wal Ihsane. C’est d’ailleurs la principale actualité de la semaine : les hommes de Cheikh Yassine quittent le M20. Sans verser dans la théorie du complot (un deal secret pour “tuer” le M20 et légaliser en contrepartie la Jamaâ), je crois qu’ils l’ont fait pour deux raisons principales. La première est l’arrivée du PJD aux affaires et le risque d’affrontement entre “frères”, toujours préjudiciable pour le peuple islamiste. La deuxième est leur désir de faire cavalier seul, probablement en parti politique dès la mort du vieux Cheikh Yassine. Peut-être aussi sentent-ils que c’est le moment, pour eux, d’opérer à visage découvert, sans la couverture d’une jeunesse rebelle à leur discours passéiste.
Même s’il risque, dans un premier temps, de dégarnir les rangs du M20 et d’en affaiblir la logistique, le retrait de la Jamaâ offre plusieurs avantages. Il promet un repositionnement plus à gauche et plus progressiste du M20. Cette clarification est la bienvenue. Dans un pays qui vient de voter islamiste, le M20 a la possibilité de devenir un recours, une alternative, une valeur refuge. Il aura ce bonus de “sympathie” qui peut attirer la “foule” des démocrates, au-delà de leurs différenciations politiques. Il pourra même séduire de nouveau Monsieur et Madame tout le monde, toutes ces familles moyennes qui n’ont pas hésité à marcher par dizaines de milliers, le 20 février et plus encore le 20 mars.
C’est sur cette note optimiste que je vous souhaite, au nom de toute l’équipe TelQuel, une bonne fin d’année. Et merci… 2011, cette formidable année dont nous retiendrons davantage les espoirs soulevés que les déceptions accumulées.